Chapitre 42

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n°11: Dire aux parents de Luc ma façon de penser:

Bien évidemment, j'ai abandonné l'idée de mettre les choses à plat avec Luc. Vu l'état dans lequel il se trouvait quand il s'est présenté sur mon perron, ce n'était clairement pas le moment. Nous nous connaissons pourtant depuis le jardin d'enfant, et les tensions avec ses parents ne datent pas du jour, mais jamais je ne l'avais vu dans l'état où il était vendredi.

Alors j'ai laissé de côté tous mes doutes et mes reproches, et j'ai essayé de lui offrir l'oreille compatissante dont il avait besoin, parce que je savais qu'on avait atteint le point de non retour. Celui qui risque de mettre un terme définitif à leur relation, ou au contraire, de leur permettre de réaliser l'erreur qu'ils étaient sur le point de commettre. Même si, en le mettant à la porte comme ils l'ont fait, je ne pense pas qu'il y ait un retour en arrière possible du côté de Luc. Ce qui n'est peut-être pas plus mal pour mon meilleur ami, quand on voit la toxicité de leurs échanges.

Après qu'il soit entré chez moi, pour une durée qui reste à déterminer, Luc est allé s'asseoir sur le canapé, le dos voûté, les bras pendant entre ses jambes et le regard perdu dans le vide. Jamais je n'avais vu mon meilleur ami aussi abattu. Il était quelque part entre le choc et la sidération, et il m'a fallu redoubler d'effort pour le faire sortir de son mutisme. Mais j'y suis parvenu, à grand renfort de pizza quatre fromages et de bière.

Bon, en vérité, je me suis contentée de le saouler pour lui délier la langue. La pizza était autant pour lui que pour moi. Mais qu'importe les méthodes, l'essentiel est d'être parvenue à le faire parler. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que je n'ai pas été déçue du voyage. En me racontant l'altercation avec ses parents, il a non seulement répondu aux questions que je me posais, mais aussi à celles que j'aurais pu me poser à l'avenir et surtout, il m'a dévoilé tout l'envers du décor. Et c'est là que j'ai pris la plus grosse claque de ma vie. 

Je savais que la situation était compliquée entre eux, mais jamais je n'aurais pu imaginer le calvaire qu'il vivait. Et à mesure qu'il me détaillait son quotidien, je ne pouvais que m'enfoncer dans mon siège, accablée par ses révélations et honteuse de n'avoir rien perçu. Mais comment aurais-je pu me douter de ce qu'il vivait, lui qui semblait toujours si joyeux et détaché de tout? Je comprends mieux à présent cette espèce de nonchalance qui le caractérise. Difficile d'accorder de l'importance à des broutilles, quand on n'a pas le plus important. L'amour de ses parents.

C'est du moins ce que je perçois dans ses paroles. Parce que, s'il manifeste surtout de la colère en ce moment, je devine une profonde tristesse qui transparaît entre ses mots. Je suis bien placée pour le comprendre. Quand ma mère est partie, j'ai eu le sentiment d'être abandonnée. A mes yeux, son départ signifiait que je ne comptais pas assez pour elle, en tout cas, pas suffisamment pour la retenir. En partant, c'est comme si elle m'avait dit qu'elle ne m'aimait pas, et j'ai été dévastée par ce constat. Aussi, je n'ose imaginer les émotions qui doivent traverser mon ami, alors que lui se voit rejeté par ses deux parents.

Il ne s'agit pas de violence physique. Non, il n'a jamais été question de ça. Mais en un sens, c'est peut-être pire. Luc m'a expliqué, et je devine qu'il ne me dit pas vraiment tout, que depuis un certain temps déjà, ses parents l'ignorent. Tout simplement. Ils ne lui parlent plus, ne s'intéressent plus à ce qu'il fait, à ce qu'il pense. Et les rares fois où ils daignent s'adresser à lui, ce n'est que pour lui rappeler qu'il est et restera leur plus grande déception. Remontrances, insultes et mépris. Ce sont là les seules paroles qu'il reçoit de ceux qui lui ont donné la vie. 

Pourtant, ça n'a pas toujours été le cas. Quand nous étions plus jeunes, Luc était très proche de ses parents. Son père, qui ne vit que pour l'entreprise familiale, voyait déjà en son fils la relève qui l'aiderait à faire prospérer leur affaire. Et sa mère, pour qui les apparences comptent plus que tout, le trouvait parfait en tous points. Enfin, jusqu'à ce qu'en deuxième année, il se sente suffisamment proche d'eux pour se confier sur sa sexualité. Grossière erreur. Ses aveux ont signé la fin de leur entente parfaite. Luc s'est senti incompris, et ses parents n'ont pu accepter d'avoir un fils aux "moeurs perverties". Les Peters sont, malgré les apparences, très - trop ? - pieux , aussi, à leurs yeux, la bisexualité de Luc est contre-nature. Avoir un fils qui puisse se montrer au bras d'un autre homme leur paraît inconcevable. 

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