Chapitre 43

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A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle.

Alors, comme Luc et mon père sont rentrés tard de leur expédition hamburger dimanche soir, et que de ce fait, nous nous sommes couchés bien plus tard que d'ordinaire - c'est à dire environ deux heures avant d'avoir à nous lever - nous avons eu l'autorisation de "prolonger" notre week-end.

En d'autres termes, Luc et moi avons passé notre lundi en pyjama, à nous gaver de chips et de chocolat devant la télé. Et avec la bénédiction de mon père en prime. Le pied. De toute évidence, cette journée d'école buissonnière n'avait rien à voir avec la courte nuit que nous avions passé, mais bien avec l'épreuve que Luc traverse en ce moment. Et cette fois encore, je ne peux que me réjouir d'avoir un père aussi cool et compréhensif que le mien. Parce que je sais qu'aucun autre n'aurait eu l'idée, et surtout, aucun autre n'aurait compris l'importance que ce break a pu avoir pour mon meilleur ami. Alors oui, mon paternel est peut-être un ancien alcoolique, mais il n'en est pas moins le meilleur père qui soit pour autant.

C'est ce que je me répète alors que je repense au sourire de mon meilleur ami qui chantonnait distraitement derrière son volant, ce matin alors qu'il nous conduisait au lycée. Bien sûr, je ne suis pas certaine qu'il se sente réellement mieux que vendredi soir. Mais j'ai envie de croire que le fait de s'être confié lui a permis de s'alléger d'un poids. Et cette impression m'a poursuivie toute la journée. A chaque fois que je l'observais discrètement, il avait ce même petit sourire en coin et cet air apaisé.

Alors, même si je suis ravie de me rendre au club de photographie et d'en retrouver ses membres, je suis encore plus pressée de rentrer chez moi pour pouvoir passer du temps avec Luc. Comme au bon vieux temps. Avant que je ne décide d'affronter Madison, avant de me rapprocher de Shawn et de toucher du doigt une popularité à laquelle je ne suis plus sûre de vouloir accéder. Je n'étais peut-être pas satisfaite de mon invisibilité, mais tout me semblait plus simple alors. Quand mes occupations se résumaient à regarder la télé avec mon meilleur ami en refaisant le monde. Il est vrai que ça m'amuse de rendre la monnaie de sa pièce à Madison, mais ça me manque ces moments passés en tête à tête avec Luc. C'est donc pétrie d'impatience que je passe la porte du club qui s'est transformé en véritable centre de lutte anti peste blonde, et comme la semaine dernière, je suis accueillie par un Tommy qui trépigne de me voir arriver. 

Amusée par son attitude, je lui souris, dépose mes affaires et rejoins les autres autour d'un ordinateur, où je sais qu'ils m'attendent pour me montrer leur dernières trouvailles. Les photos se succèdent, et même si elles n'arrivent pas à concurrencer la première qui a été postée, elles permettent d'enfoncer le clou et d'appuyer notre message. Malgré les apparences qu'elle s'efforce de maintenir, Madison est comme tout le monde. Elle est loin d'être parfaite au quotidien, et le but de cette page dédiée à la face cachée de la peste c'est justement de désacraliser cette image d'Épinal qu'elle s'évertue à présenter comme la réalité.

Alors je valide une bonne partie des photos prises, et je les encourage à les poster sur Facebook. Une par jour environ. Bien que je ne sois pas celle qui a créé et qui dirige la page, ils me consultent avant d'y ajouter du contenu. Puisqu'ils le font en mon nom. Même si je pense qu'ils le font surtout pour eux, pour prendre leur revanche sur la peste, mais qu'importe, c'est aussi pour ça que je le fais.

D'une petite tape sur l'épaule, Tommy attire mon attention et m'entraîne à l'écart, l'air soucieux. Intriguée, je le suis jusqu'à une table un peu plus loin, où je prend place pour entendre ce qu'il a à me dire, et qui semble tant le chagriner.

- Écoute, Jamie, je ne sais pas trop comment te dire ça, alors je vais être direct. Tu sais que lors des élections qui peuvent avoir lieu au lycée, on fait des sondages, pour avoir une première idée du vainqueur...

Ne voyant pas très bien où il veut en venir, j'acquiesce, les sourcils froncés en attendant qu'il poursuive.

- Et les chiffres sont clairs, malgré le faible écart qui vous sépare, Madison est toujours donnée gagnante. Je suis désolé.

- Ce n'est pas une grande surprise. Tu sais, je n'espérais pas vraiment gagner...

Et je le pense, sincèrement. Jamais je ne me suis imaginée porter la couronne de reine. Pourtant, quelque part, je suis tout de même un peu déçue. Je crois que j'aurais aimé que les élèves saisissent l'opportunité de se défaire du règne de la peste. Mais il faut croire que certains en sont satisfaits... Ce n'est pas le cas de ma petite bande de geek - comme ils se sont auto-nommés - en tout cas, si j'en crois la façon dont ils me regardent, l'air consterné. Laina ouvre la bouche, puis la referme, et enfin elle prend une profonde inspiration avant de lâcher d'une traite, le regard fuyant:

- L'avantage, c'est qu'on sait où elle sera...

Tous se tournent vers elle, ce qui la fait rougir et se rencogner sur son siège, mais elle poursuit tout de même. 

- Je veux dire, si on veut vraiment la détruire. Comme tu le disais Jamie... On peut lui faire un coup à la Carrie White.

Je la regarde, sans comprendre, aussi, elle se sent obligée d'expliquer. En s'aidant de photo tirée d'une recherche Google rapide.

- Tu sais... Le film... Carrie au bal du diable ? Une fille, complètement marginale, qui se fait élire reine. Mais finalement, quand elle monte sur scène, elle réalise que c'était un piège. Elle se prend un sceau plein de sang de cochon sur la tête devant tout le monde. Sauf qu'elle a des pouvoirs, et qu'elle se venge sur tous ceux qui lui tombent sous la main. Et bien, on pourrait faire la même chose à Madison. Les pouvoirs et l'explosion de violence en moins, bien sûr. 

Je me penche en avant, pour voir les photos d'une blonde en tenue de bal couverte de sang et je dois admettre que ça me donne des idées. Enfin, peut-être pas avec du sang, mais avec de la gelée de fruit, ou de la sauce tomate, c'est tout à fait envisageable. Malheureusement, je n'ai pas le temps de développer l'idée et de soutenir Laina, les mots au bord des lèvres, je suis interrompue par la porte de la salle qui s'ouvre en un grand fracas.

Luc, furieux, sonde la salle pour me trouver, et quand enfin il me localise, il me lance le regard le plus noir qui soit avant de pointer son index dans ma direction:

- Toi ! Dehors ! Avec moi ! Maintenant !

F*ck it ListOù les histoires vivent. Découvrez maintenant