Gang Project

Chapitre 6 : Ji Hee

On nous installe à une table basse, sur des tatamis, dans le petit bâtiment traditionnel appelé le Chingodo. Jackie Chan ayant un rendez-vous de dernière minute, décide de remettre la réunion d'informations en fin d'après-midi. Néanmoins, il nous explique le concept de son projet « de rééducation des jeunes en difficultés par l'apprentissage d'un art martial et du ré-apprentissage des règles de vie sociales basiques ».

Je n'écoute que d'une oreille et décroche très vite de la conversation, trop occupée à admirer mon nouvel environnement. Faut dire que l'on nous accueille dans un lieu sacré, au cœur même de l'habitat des moines. L'endroit est vide de tout objet, dévoilant la structure du bâtiment, où est gravée la sueur, les croyances et la vie des artisans. De ma place, j'entrevois également le Demboin, notre lieu de résidence. Mon regard s'attarde tout particulièrement sur Sato. Non. Takeru. Comme il m'a demandé de l'appeler. Je mentirais si je disais que cela ne m'a pas surprise. Quand on le regarde de près, il n'a pas du tout l'air d'être un moins que rien, qui passe son temps dans les rues à se bagarrer, et s'auto-proclame bras droit d'un leader de gang à deux balles, comme je le pensais au début. Non, il apparaît comme un garçon gentil et chaleureux, sérieux et mature, mais incroyablement timide.

« ─Et j'insiste sur le fait qu'il est important que vous vous entraidiez. Sur ce, vous pouvez commencer à manger, je reviens », finit Jackie. Merde, je n'ai pas écouté un seul mot de ce qu'il a dit. Va falloir que je demande à Ji Young.

« Eh, petit dragon, qu'est-ce qu'il a raconté, le vieux ? Je n'ai pas tout suivi, glissé-je à l'oreille de mon frère jumeau, situé à ma droite.
- J'sais pas, il a parlé de ménage, de cours, de couvre-feu. Il a dit qu'on allait apprendre à se battre mais aussi l'art de j'sais pas quoi, me répond-il tout en fourrant une grosse cuillerée de riz dans la bouche, rendant sa prononciation quasi inaudible.
- Et ?
- Un truc genre camaraderie, fraternité ou fidélité. À moins qu'il ait parlé fric ? Demande aux autres, j'ai trop faim. »

Franchement, je ne sais même pas pourquoi je lui ai demandé. C'est moi la tête pensante de notre duo après tout. Je me tourne vers Midori, et change d'avis. Affichant mon plus beau sourire, je demande à Takeru :
« Takeru, dit, qu'est-ce que Jackie Chan a dit exactement ? J'ai du mal à me concentrer avec un ventre vide, me plains-je, en massant mon ventre.
- Il est allé chercher nos dossiers, tout ce qu'il a dit sera noté dessus », me répond-il avec un sourire. Je le remercie doucement, et retourne mon attention vers les plats succulents qui s'offrent à moi. Nous pouvons manger tranquillement, puisqu'ils ont occasionnellement interdit aux touristes l'accès à ce lieu. Comme de parfaits Japonais, nous sommes assis sur nos genoux, le dos bien droit, la tête haute. Sauf Ji Young, qui a croisé les jambes et qui s'accoude sur la table. J'allais attaquer le poulet avec mes baguettes, quand je sens les poils de mon dos se hérisser. Quelqu'un m'observe me préviennent mes entrailles. Je relève la tête et me retrouve face à des yeux perçants.
« Premièrement, par respect, on appelle le maître, sensei, tout le temps. Deuxièmement, vous n'êtes pas ici en sortie scolaire, alors tenez-vous correctement » nous remballe Midori d'un ton tranchant.

Un sentiment d'incompréhension surgit en moi, qui laisse rapidement place à de l'agacement. Je repose tout doucement le morceau de poulet dans son plat d'origine. Je ne vois pas où est le problème. En jetant un coup d'œil à mon frère, je me rends compte que nous pensons la même chose. Je m'apprête à lui renvoyer la monnaie de sa pièce quand j'entends quelqu'un se racler la gorge :
« Midori, ne soit pas si dure. Mangez du poulet, il est vraiment délicieux ! » dit Takeru. Ce qui a pour effet d'apaiser instantanément l'ambiance électrique naissante. Le repas se termine par une « dispute » entre Midori et Ji Young pour le privilège de manger le dernier morceau de viande. Jackie revient enfin avec quatre dossiers à la main, et nous en tend un à chacun. « Pour commencer, je souhaiterais que vous desserviez la table et que vous remettiez l'endroit en l'état. J'ai encore quelques formalités à faire. Profitez-en pour vous installer correctement. Je compte sur vous, Midori et Takeru, pour aider au mieux vos deux camarades et leur faire visiter les lieux. Je vous précise que vous avez formellement interdiction de quitter le Sensô-ji, j'insiste. Je vous retrouverai au Demboin, à dix-sept heures tapantes. »