DARK LOVERS : un amour interdit

CHAPITRE 5

Il ne faut pas se mettre en colère contre les choses : cela ne leur fait absolument rien.

Mme de Staël (romancière française, 1766-1817)

Nathan

J'ai certainement dû trop boire aujourd'hui. Je ne tiens plus debout. C'est Sandro qui m'a ramené au manoir, une fois l'enterrement de Liam terminé.

On dit que l'alcool chasse efficacement la tristesse et le désespoir. Dans mon cas, il a exacerbé mes idées noires. J'ai envie de casser quelque chose. N'importe quoi ou n'importe qui ferait l'affaire ! Mais hormis ce lustre de cristal qui se balance dangereusement au-dessus de ma tête, il ne reste plus un seul objet intact dans ma chambre.

Il faut que je m'arrache de ce lit. Que je parte loin d'ici. Alors, peut-être parviendrai-je à exorciser cette rage qui me ronge de l'intérieur. Mais les murs qui ondulent comme des vagues autour de moi la retiennent prisonnière. Je ne suis pas près de dégriser. Il fait beau dehors, et pourtant le soleil n'a pas réussi à percer la grisaille de mon être meurtri. Je ne vois plus les couleurs. Le monstre sanguinaire qui piaffe de colère en moi les a toutes avalées. Je suis ivre. Ivre de douleur. Ivre de rancœurs. La perte de mon frère a fait saigner mon cœur.

— Tout est sa faute ! grogné-je entre mes dents, tout en allongeant un coup de poing dans le matelas.

C'est cette Chiara qui l'a tué. Couché sur mon lit, les yeux rivés au plafond, j'élabore des projets de vengeance qui aboutissent tous à la destruction d'un objet. Depuis six jours que Liam est mort, j'ai eu le temps de tout fracasser autour de moi. Ma table de chevet est en miettes, mes coussins éventrés. Il n'y a plus un seul bibelot entier. J'ai lacéré les tableaux, déchiré les draps, estropié les chaises. Si je tenais cette Chiara entre mes mains, je lui ferais subir un sort similaire.

J'ai bien failli passer à l'acte pendant l'enterrement. Sans cette fosse qui nous séparait, j'aurais très bien pu lui sauter à la gorge. Comme je me la remémore, se pavanant dans toute sa splendeur de séductrice, une rage féroce se répand dans mes veines. C'est avec ses grands yeux bleus et sa bouche pulpeuse qu'elle a piégé mon frère. À qui le tour maintenant ? Peut-être rendrais-je service à l'humanité en la débarrassant de cette femme ! Je crois que je suis en train de devenir fou. Complètement fou. Je ne contrôle plus rien. Ce qui mijote dans ma tête s'appelle un meurtre. C'est mal, je le sais.

Et pourtant ! Plus j'en caresse l'idée, plus mon bas-ventre se gorge de sève brute. Le fait de m'imaginer la trucider provoque en moi une excitation fébrile. Les pulsions sexuelles qui l'accompagnent me mettent au supplice. Oui, j'ai envie de m'enfoncer en elle et de la pilonner comme un enragé. Pour lui faire mal. Parce que je rêve de décharger en elle toute ma rancœur. De la souiller. De marquer sa chair du sceau de mon infamie. Je suis fou. Je ne devrais pas laisser ces pensées germer dans mon esprit dérangé par l'alcool. Est-ce lui qui invente ce grincement de porte ?

— Puis-je entrer ? me demande Marie, d'une voix si douce qu'elle attise un peu plus mes instincts de prédateur. J'apporte le dîner.

Marie ! La servante de la discorde ! Liam et moi ne nous étions jamais querellés avant son mariage. Marie a été notre première pierre d'achoppement. Chiara ne la supportait pas. Son aversion pour cette femme s'est manifestée dès qu'elle a emménagé au manoir. À force de cajoleries, elle est parvenue à convaincre mon frère qu'il fallait la licencier. Je m'y suis opposé formellement. Chiara s'est arc-boutée sur ses positions. Liam l'a soutenue, ce qui a donné naissance à ma première dispute avec lui.

Je ne pense pas que j'aurais couché avec Marie si je n'avais pas été persuadé d'exaspérer ma belle-sœur. Certes, sa compagnie m'était agréable. Et je n'ai jamais craché sur une belle blonde aux yeux bleus. Mais du temps où mon frère et moi ne faisions qu'un, je n'aurais jamais convoité une fille susceptible de lui plaire – ou de lui déplaire. Je veillais toujours à dénicher mes conquêtes en dehors de notre cercle commun de connaissances. Désormais, Marie est ma maîtresse. Et j'ai des désirs malsains plein la tête depuis qu'elle a pénétré dans ma chambre. Comme celui de défouler sur elle toute cette hargne destinée à Chiara.

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