CHAPITRE 11

2.3K 146 3
                                    


La douleur est un siècle et la mort un moment.

Jean-Baptiste Louis Gresset (poète français, 1709-1777)

Nathan

Je suis aussi comateux qu'au lendemain d'une soirée de fête. À cette différence près que je ne m'éclate pas particulièrement ces derniers temps. Je traverse actuellement une zone de turbulences dont je suis loin de voir le bout. Mon frère est mort. Mort et enterré. Et ça me donne envie de me cogner la tête contre les murs.

Réveillé depuis un bon moment, je fixe le plafond. Quelle heure peut-il bien être ? Est-ce le matin ou l'après-midi ? Une chose est sûre : je suis dans ma chambre. Je reconnais les angelots qui y sont peints, ainsi que le lustre de cristal que le soleil éclabousse de lumière. Il jette des milliers d'éclats aux couleurs de l'arc-en-ciel, qui sont autant d'offenses faites à la noirceur de mes pensées. Malgré la chaleur qui règne dans la pièce, je suis frigorifié. Je suis aussi froid que mon frère dans son tombeau.

Concernant les événements de la veille, j'ai du mal à recoller les morceaux. Mille tambours résonnent dans ma tête et m'empêchent de rassembler mes idées. J'ai encore trop bu hier. Depuis quelque temps, c'est devenu une habitude. Tout cet alcool que j'ingère m'aide à supporter le chagrin. Pourquoi ne suis-je pas allé courir avec Liam dimanche dernier ? J'aurais certainement pu le sauver. Je lui aurais fait un massage cardiaque en attendant les secours. À l'heure qu'il est, il serait peut-être encore vivant. Depuis son mariage, mon frère et moi ne courions plus ensemble. Du reste, nous ne partagions plus rien.

Une porte qui grince me ramène au présent. L'instant d'après, j'entends quelqu'un entrer dans ma chambre.

— Marie ? murmuré-je, la gorge sèche.

— Elle a donné sa démission hier. Tu ne t'en souviens pas ? me demande Chiara d'un ton vindicatif.

Non justement ! Je ne me souviens plus de rien. Chaque fois que je fouille ma mémoire, le cercueil de mon frère m'apparaît. Je me revois le fixer lorsqu'il s'enfonçait dans la fosse. C'est ma belle-sœur qui aurait dû être à sa place ! Puis, je la vois, elle ! Au bras de Julia. Éclatante de beauté malgré l'austérité de sa tenue. Je m'entends l'insulter. Elle n'a pas répondu à mes attaques. Se sentait-elle à ce point coupable pour encaisser sans répliquer ?

Après l'enterrement, Sandro m'a raccompagné au manoir. Et là, j'ai bu. Oui, j'ai bu comme un trou. Jusqu'à me lessiver la cervelle. Ce qui a pu se passer depuis m'échappe complètement. Je ne me souviens plus de rien. En revanche, l'alcool n'a pas étanché ma soif de justice. Mes désirs de vengeance sont toujours aussi forts. L'arrivée de Chiara ne fait que les exacerber.

Pourquoi vient-elle me narguer ? Ignore-t-elle l'inimitié que je lui voue ? Laquelle inimitié est au moins égale à celle que je lui inspire. Mais peut-être n'est-elle ici que pour savourer pleinement son succès ! Depuis le temps qu'elle rêve de licencier Marie, elle a été exaucée sans même avoir eu à se salir les mains. Si elle s'imagine que je vais protester, elle se trompe ! Marie et moi, c'était juste une histoire de sexe. Une de perdue, dix de retrouvées !

— Je t'apporte tes antalgiques, poursuit Chiara, profitant de mon silence.

Des antalgiques ? Si elle croit également parvenir à calmer ma rage avec ça, elle a faux sur toute la ligne ! Je tente de me lever, afin d'être en mesure de la toiser de toute ma hauteur. Mais la vive douleur qui éclate dans ma poitrine m'en dissuade. Elle se propage dans mes nerfs, irradie vers mon cou, mon visage, mes oreilles et jusqu'à la racine de mes cheveux. Mes membres ne sont pas épargnés. Je ressens même des picotements dans mes orteils. C'est une vraie torture qui m'ôte toute envie de remuer !

— Arrête de bouger ! Dans ton état, il faut éviter tout mouvement inutile.

Un bruit métallique m'indique que Chiara a posé un plateau sur ma table de chevet – une toute nouvelle table de chevet, vu que la précédente était en miettes ! Le petit ton de supériorité que je décèle dans sa voix me rend furieux. Je ne me laisserai dicter ma conduite ni par elle ni par une crampe. Aussitôt, j'essaie de me redresser sur mon oreiller. Cette fois-ci, ce sont des centaines d'aiguilles qui me transpercent la chair et me clouent sur place. Réprimant un cri, je me crispe. Le simple fait de serrer les poings m'inflige une insoutenable souffrance. J'en viens à regretter de ne pas avoir une bouteille d'alcool à portée de main.

— Qu'est-ce qui m'arrive ? grogné-je, frustré de ne pouvoir regarder autre chose que le plafond.

— Trois côtes fêlées, une fracture de l'avant-bras droit et une entorse de la cheville droite ! me répond le frère de Chiara, dont je reconnais le pas assuré.

— Sandro ?

— Lui-même !

— Comment est-ce arrivé ?

Si je suis tombé, ou quelque chose dans ce genre, je n'en ai pas gardé le souvenir.

— Tu as fait une chute dans les escaliers d'un passage secret, m'explique mon ami, que je ne vois toujours pas, puisque je ne peux pas tourner la tête. Pour les détails, il faudra demander à Chiara ! Elle n'a rien voulu me dire. Mais je te conseille de l'écouter et de ne pas bouger, si tu ne veux pas aggraver ton cas.

Même avec la meilleure volonté du monde, je serais bien incapable d'agiter un doigt. La mort dans l'âme, je suis donc obligé d'obtempérer.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? maugréé-je, tout en ressentant des élancements dans le thorax à chacun des mots qui sort de ma bouche. Tu n'es pas au travail ?

— Je suis venu t'aider. Je suis ton ami, ne l'oublie pas !

Sandro se rapproche de moi et entre enfin dans mon champ de vision. Vêtu de l'un de ses élégants costumes trois-pièces, il a plutôt bonne mine. Son mariage a l'air de lui réussir. Julia, son épouse, dirige le Pink Bikini, une discothèque sur le boulevard Saint-Laurent. D'après ce que j'ai cru comprendre, son affaire est florissante. La boîte de consultant en communication de Sandro est également très prospère. Je suis content pour lui.

Lui aussi a eu un départ difficile dans la vie. Comme Liam et moi, il a perdu son père et sa mère dans son jeune âge. Il était à bord de la voiture familiale au moment de l'accident qui a tué ses parents. Il n'a jamais voulu m'en parler, mais je devine qu'il a vécu un drame horrible.

De cet événement tragique, il a conservé un aspect farouche, qu'accentuent ses cheveux bruns ébouriffés, son teint hâlé, son nez légèrement aquilin et son menton volontaire. Seul son regard a conservé sa douceur originelle, qui a probablement fait fondre le cœur de Julia. À l'instant présent, elle m'exaspère au plus haut point. Qu'il arrête immédiatement de me dévisager avec cette expression de bonté, ou je lui rentre dans le mou !

— Comment vas-tu ? As-tu mal ? me demande-t-il gentiment, tandis que je sens le matelas s'affaisser à ma droite sous son poids.

— À en crever ! Mais cesse de te réjouir, je ne suis pas encore mort !

— Mon pauvre ami ! Tu me fais réellement de la...

— Allez vous faire foutre, toi et ta pitié mal placée ! le coupé-je aussi sec.

— Moi aussi, je t'adore, Nathan. Et c'est pour ça que je te conseille de rester bien sagement au lit.

— Il n'en est pas question ! Je veux partir loin d'ici. Tout de suite.

******

N'hésitez pas à voter !!! Merci d'avance !!!

Rendez-vous au chapitre 12 pour lire la suite de DARK LOVERS...

DARK LOVERS : un amour interditOù les histoires vivent. Découvrez maintenant