CHALEUR HUMAINE

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Approche Humaine 

            Ce matin en me réveillant, la maison d'en face était collée à la mienne.

 La rue n'existait plus. Fenêtres contre fenêtres, portes contre portes, murs contre murs en deux jambes jumelées, j'avais plein vu sur le salon. Les meubles de mauvaises factures, un fauteuil enfoncé, une télé qui trainait devant un monstrueux canapé et un chien, et sa bave sur le dossier. J'ai pas de télé chez moi, c'est ennuyeux. Voir des personnages bouger toute la journée, l'inactivité du corps, l'abrutissement de la réflexion et la nourriture facile que l'on donne à l'imagination n'ont jamais suscité en moi autre chose qu'un profond ennui. J'avais pas besoin de télé. La télé c'était de l'autre coté de la fenêtre. Collés à moi, ces êtres s'articulaient. Descendaient l'escalier, montaient l'escalier passaient les portes puis les refermaient; essayaient d'ouvrir une fenêtre, toquaient aux carreaux me voyaient me faisaient signe, se demandaient pourquoi est-ce que leur maison s'était déplacée dans la nuit ou est-ce que c'était la mienne qui avait subitement avancé, m'accusaient presque de leur regard. Comme si j'avais mangé la rue qui nous tenaient à l'écart. Ils voulaient fermer les volets, sautaient partout comme des puces, énervés comme ils étaient; c'était affligeant. Ils s'affairaient encore un peu partout, jouant avec les lumières et essayant de s'extirper hors de ce salon. Mais rien n'y fait ils sont coincés, tout comme je l'étais. Je ne sais pas ce qu'ils voyaient de chez moi. Ma chambre pas rangée, moi en pyjama et les feuilles qui courraient un peu partout sur le sol. Il aurait suffit d'un vent pour qu'elles s'envolent. Qu'est-ce qu'ils pouvaient penser... Qu'est-ce que je m'en fichais. Est-ce que ça nous importe ce que vois l'autre quand sa fenêtre est l'oeil de judas ? Est-ce que ça vous importe ce à quoi vous ressemblez. Est-ce que ça vous importe ce que vous porter quand d'un regard l'inconnu embrasse votre intimité. 

Plaquée contre un mur ou un sol, nu, vous vous débattez contre l'oeil accusateur. Le verre qui sépare les deux univers se déforme et se donne corps, tandis qu'une main vous attrape à la gorge et vous plis dans le sol. Les lattes du parquet s'affaissent sous la douleur et le poids et le choc et la honte. Le corps se confond avec le sol qui bientôt disparaît, ne laissant qu'un écran bouillant qui dissocie l'âme de l'oeil et du reste. Et alors que les battements du coeur cogne nt contre le voyeur, les yeux s'ouvrent sur la lutte en contre bas. Plaquée au plafond, on voit le corps en plongée, disloqué sous la masse; et l'esprit s'abrite dans la noirceur des hautes altitudes. Et quand enfin les yeux se ferment et que l'être retrouve le corps, qu'un premier souffle s'arrache à la poitrine sanglante, les murs se redressent et les meubles apparaissent, laissant au regard encore flou la perception des environs.

Qu'est-ce qu'ils voyaient... Ils voyaient ce que je voyais, j'étais devenue le miroir. Ils voyaient ce que je percevais au delà du flou; ces intimes plaqués l'un à l'autre. Je savais; et eux ne savaient rien mais pensaient voir, et immobile je restais. A contempler leur salon. Leur télé. Et cet affreux chien qui toujours dormait alors que l'enfant s'amusait de sa queue. Leur plaid était rouge. Le sol était blanc. Et doucement à l'extérieur, la neige semblait tombait. Prisonniers de deux univers qui maintenant cohabitaient collés l'un à l'autre, les corps doucement recommençaient à se mouvoir, montant et descendant les escaliers de ces bâtisses jumelles, refermées l'une sur l'autre et prisonnières, comme on emprisonne le souffle d'un baiser charnel. Condamnées à s'apercevoir, se hanter sans pouvoir s'apprivoiser, l'autre alors devenait mien, et mon individualité entière s'écroulait entre ses mains. 

Et les bouches chacune s'aspiraient, se confondaient en une seule et alors s'écroulaient les murs,  forçant la réalisation d'un acte encore inachevé.

- Écrit en 2016 - 

@Thisbouh sur Instagram

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