49. Le charognard

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— Il est prêt ?

— Tu es en retard, répond Marcus.

— Je sais. On a eu de la compagnie après l'entraînement. La presse ne vous emmerde pas trop ?

— Pour l'instant, c'est gérable, mais un truc pareil n'arrive pas tous les jours, surtout dans une des universités les plus renommées du pays. Quand les chaînes nationales se pencheront sur notre cas, on en reparlera.

— Il a parlé ?

— Tu rigoles, ce type est complètement mutique. Je me demande s'il comprend notre langue. Même si c'est le cas, il ne me parlera pas. Il méprise mon espèce. Je te laisse t'en occuper.

— Encore un de ceux qui n'accepte pas notre alliance.

— Il est au-delà des considérations politiques. Il me regarde comme de la bouffe. C'est un primitif.

— Tu crois qu'on a affaire à un vrai charognard ? Je ne pensais pas que ce soit possible qu'il y en ait encore aujourd'hui.

— On ne dénombre que huit corps sur le campus. Il en manque deux. Il les a peut-être bouffés ?

— Ça en a tout l'air.

Dans son métier, Marcus en a tellement vu que plus rien ne l'étonne. Sans dire que son espèce est bien moins primitive que la mienne. Les cervidés sont raisonnables, leur instinct animal est moins violent. Ils sont plus mesurés. C'est pour ça qu'on les appelle parfois les sages.

— Un profil pareil ne se mêle pas aux autres. Comment a-t-il pu le rallier à cette opération ?

— Viens, on a plus beaucoup de temps avant que la relève arrive. Rodrigue est de garde ce matin. Il finit dans moins d'une heure... Avec ce mec, t'auras besoin de temps. Allons-y.

Les cervidés sont infiltrés à tous les niveaux de la police, grâce à eux on opère de l'intérieur. C'est la meilleure façon de ne pas être repérés : être présents dans toutes les strates du système. Mon espèce contrôle principalement les sphères de pouvoir : politique, justice, grandes entreprises. Notre position de dominant ne laisse que peu de place aux plus hautes fonctions. On a des relais partout. Nos alliances avec les sauriens regroupant les reptiliens et les rampants sont très utiles. Leurs performances en haute technologie, leurs innovations et leurs hackers facilitent le maintien de notre anonymat. Leur sens moral étant assez malléable, il est toujours bon de les avoir à l'œil. Les rongeurs, quant à eux, sont aussi des partenaires essentiels à notre organisation. Ils gèrent notre système financier parallèle. Bien d'autres espèces collaborent et gravitent autour de nous. Mais là, le spécimen que j'ai sous les yeux, défie l'entendement. Dire que c'est l'un des miens ! Je salue chaleureusement Rodrigue alors qu'il me fait entrer dans la cellule.

— Il est attaché ?

— Il se montre agressif et je ne veux pas prendre de risque, répond Marcus derrière moi.

Ses réflexes de prédateur sont aux aguets. Ses sens à l'affût : narines frémissantes, oreilles dressées, doigts écartés, corps courbé, il est prêt à attaquer. Il attend juste que l'opportunité se présente. Le regard vide d'émotion, il me regarde.

— Je comprends, on dirait une bête féroce.

Rodrigue referme derrière moi la porte de la cage et recule avec Marcus plus loin dans le couloir.

— Alors t'es pas bavard ? Tu peux te détendre maintenant qu'on est entre nous. Tu ne m'as pas oublié, j'espère, lançai-je avec une pointe de provocation dans la voix.

Il remue ses chaînes et s'excite un peu. Il comprend très bien notre langue.

— T'as faim ? Tu ne dois pas beaucoup aimer ce qu'on te sert ici. Je peux arranger ça. Tu veux qu'on t'apporte un morceau de choix ? Quelle partie tu préfères ?

Il grogne. Je le prends par les sentiments, enfin...par le seul besoin qui semble éveiller quoique ce soit en lui. J'élève la voix.

— Je suis sérieux. Tes corps sont à la morgue. On peut te découper discrètement un morceau. Tu veux quoi ? Un pied ? une cuisse ?

— Marcus, les corps sont ici ? Je crie sans détourner le regard de cette bête sauvage.

— Ouais, mais plus pour longtemps. Après leur authentification, ils seront remis en terre.

— Bien, il faut te dépêcher de choisir avant que ta bouffe disparaisse. Alors ?

— Je veux une femme, une cuisse, dit-il d'une voix grinçante.

— Bah voilà, tu parles. Pourquoi tu déterres des corps pour les balancer après. C'est du gâchis.

Il ne répond pas.

— Et puis qu'est-ce qu'un mec comme toi fait dans les parages ? Tu devrais être dans ta forêt, tranquille, sans tous ces emmerdements. Qui t'a foutu dans cette merde ? Je peux aller le voir si t'as peur.

Ça le fait rire.

— Ma bouffe, ça vient ?

— Elle arrive, mais avant, va falloir être plus coopératif.


Entre tes Griffes 1 (Publié Aux Éditions HLab)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant