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M./

Je connais Louis mieux que personne. Même sa mère. Oh oui, même Helen le connaît moins bien que moi, c'est une certitude. Je sais comment il fonctionne et il sait tout aussi bien ma façon de penser, même si ces derniers temps, il coupe toute empathie ou compassion à mon égard. Il a réenfilé l'armure de la sécurité en trois fois plus épais qu'il y a quelques mois. Pour de bonnes raisons certes, mais en le voyant s'enfoncer d'avantage au fil des semaines, je peux que désapprouver cet habit.

Tout est de ma faute. J'ai écrasé d'un doigt cette amitié fraternelle à cause d'une envie d'interdit. Ou d'une réelle envie peut-être, mais il n'empêche que j'ai échangé du sexe contre un frère. Je pense avoir fait la plus belle connerie de ma vie. J'en suis bien conscient et je pourrais difficilement tomber plus bas. Je ne m'en suis jamais autant voulu. La culpabilité n'est pas rationnelle, elle écrase une personne qu'elle le veuille ou non. Alors le seul moyen que j'ai trouvé pour échapper à la douleur, c'est de m'enfuir. Ça a été ma seconde erreur.

Je suis parti six mois, et pas un jour ne passait sans que je regrette mon geste, sans que je repense à tous ces moments partagés avec lui depuis notre enfance. J'ai simplement fini par penser qu'il vivrait bien mieux sans ma présence. Il a toujours été le plus fort de nous deux. Je suis bien trop sentimental, lui sait encaisser et aller de l'avant. Il est un modèle de droiture et de courage. Ce que je n'ai visiblement jamais eu.

Pendant ces longs mois, c'est bien plus que la Thaïlande, l'Australie ou le Japon que j'y ai découvert, c'est une façon de vivre, de penser, de profiter de ce que l'on a et de ce qui nous entoure. Bien loin de la mentalité New Yorkaise que j'ai toujours connue. J'ai appris à penser à mon bien-être avant de penser à ce que les autres attendent de moi. C'est ainsi que je me suis mis à écrire et dessiner. Enormément. À faire des planches et des planches de BD retraçant des évènements de ma vie que Louis et moi avons partagés. Un peu comme une thérapie je crois.

J'ai donc commencé par le début. Par notre rencontre en primaire, notre intérêt commun pour Spiderman, notre première chute avec réception par l'hôpital, nos connaissances étranges, puis le passage à l'adolescence et toutes les emmerdes que ça a pu entraîner ; mais également toute cette liberté, ces beaux jours, ces confidences qui faisaient de nous l'ancre de chacun.

Revenir à New York a toujours été dans mes plans mais ce serait mentir de dire que je m'y sens parfaitement chez moi à présent. Le recul pris ces derniers mois me fait revoir notre manière de vivre, en particulier celle de ma mère. Elle a toujours eu pour priorité son cercle social. Je vis ainsi depuis que je suis né et je dois avouer que c'était agréable lorsque nos vacances se programmaient sur des yatchs et îles vierges, ou lorsque les opportunités en or s'offrent plus vite que fond neige au soleil. Simplement, on ne voit plus l'essentiel, les valeurs simples et premières, souvent entachées par la société d'aujourd'hui. Je veux revenir à une vie plus simple et naturelle, à l'écoute des autres, et sans faux semblants.

Alors, quand je vois Louis encore et toujours en quête d'une vie parfaite sans s'écouter lui-même, j'ai peur. Peur de le perdre définitivement parce que j'ai merdé. Mais également parce qu'il est incapable d'accepter le moindre défaut, la moindre erreur, comme s'il cherchait à se faire épingler au musée de la perfection. Seulement, vivre, ce n'est pas être parfait aux yeux des autres.

Ou si ce n'est pas la perfection, il cherche cette vengeance constante dès qu'une personne a voulu toucher à sa perfection. Bien entendu j'en fait les frais, et je me verrai réintégrer NYU que l'année prochaine. Au lieu de chercher un nouveau moyen de lui faire regretter son geste comme je l'aurais fait il y a encore peu de temps, je cherche de quoi m'occuper. Et même si mon compte en banque me permettrait de ne rien faire du tout, je ne veux plus rester les bras croisés. J'irai passer quelques jours dans des centres d'accueil dans les banlieues Nord de New York pour aider ceux qui en ont réellement besoin. Ma chère mère n'est pas encore au fait de mon choix, et le plus tard sera le mieux. L'important c'est que moi, je m'y retrouve.

Sérendipité [Larry Stylinson]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant