Chapitre 47

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Quand Luc aborde le virage qui nous conduit au parking du lycée, ma nervosité est à son comble. Je tuerai pour un hamburger. Même si je crains de le vomir aussi sec, tant je suis une boule de nerf. La voiture de mon père, qu'il a consentit à nous prêter, n'est peut-être pas aussi confortable que l'Impala de Luc, mais elle a un effet anxiolytique sur moi. Grâce à tous les souvenirs que nous y avons partagés, Luc, mon père et moi. Pourtant ce soir, ce n'est pas suffisant pour me calmer. Depuis que nous sommes partis de la maison, je ne tiens pas en place, et à présent que nous sommes presque arrivés, je suis à deux doigts de sauter en marche. Mais l'enjeu est trop important pour que je fasse demi-tour maintenant, alors j'inspire profondément, et j'essuie mes paumes de main moites sur mes cuisses. Encore.

Et si je faisais fausse route ? Ou que je regrettais mon choix ?

Comme s'il sentait que je suis prête à renoncer, Luc pose sa main sur la mienne puis il la tapote doucement. Il ne dit rien mais je sens à sa manière de me regarder qu'il me soutient, et déjà je me sens un peu mieux. Et puis, après tout, si je ne saute pas le pas, je ne saurais jamais. Tout ce qu'il me faut, c'est un peu de courage.

- Prête ? me demande Luc alors qu'il coupe le moteur.

J'acquiesce timidement et sors de voiture, le coeur battant à tout rompre. Après être sorti à son tour et avoir verrouillé les portières, Luc court pour me rejoindre et me tend la main, que je saisis sans hésiter. Il doit faire 2°C à tout casser, mais cette fois, ce n'est pas le froid qui me fait trembler, mais bien l'appréhension, et je ne peux que me réjouir d'avoir Luc à mes côtés pour surmonter mon stress. Je sais que, quoi qu'il arrive une fois que j'aurais franchis les portes du gymnase, il sera là pour moi.

Et alors que j'aurais aimé que le trajet qui nous sépare des portes encadrées de ballons et de rubans de crêpe bleus et blancs soit plus long, déjà, il les ouvre pour me laisser passer. Mais quand j'entre, mes doutes sont momentanément écartés par la surprise. Je dois admettre que le comité de préparation du bal a fait un travail formidable. Les lumières criardes et aveuglantes des néons ont été remplacées par de douces lueurs aux couleurs des Vikings diffusées ça et là par des projecteurs disposés aux quatre coins de la pièce. Les murs et les plafonniers sont tous décorés des mêmes ballons et rubans qu'on pouvait trouver sur la porte d'entrée, c'est époustouflant. On ne croirait pas un instant qu'il s'agit du gymnase. Aussi, pendant quelques minutes, je parviens à oublier l'endroit où je me trouve, et la personne que je suis venue retrouver.

Enfin, jusqu'à ce que je l'aperçoive au loin, perdu dans la foule, l'air absent. Il est si beau dans son costume que j'en oublierais presque mes craintes. Machinalement, je me diriges vers lui, sans plus prêter attention aux regards que ma présence soulève, ni même à la sensation étrange que mon coeur et mes jambes se sont désynchronisés et qu'ils avancent à contre courant l'un de l'autre. Mais alors que je ne suis plus qu'à quelques mètres de lui, la musique s'interrompt, remplacée par la voix chevrotante du proviseur.

- Je sais, je sais ! dit-il à la foule d'élèves qui s'agitait en contrebas de l'estrade où il se trouve. Vous n'êtes pas là pour m'entendre bavasser, mais rassurez-vous, je serai bref. Si je vous interromps, c'est qu'il est l'heure de vous annoncer les résultats de l'élection du Roi et de la Reine du bal de la rentrée.

Tous les regards sont rivés vers le proviseur, qui se tient derrière son micro, à quelques pas du DJ qui patiente avant de pouvoir reprendre son set. Et l'impatience est palpable quand le cinquantenaire décachette l'enveloppe contenant les résultats avec une lenteur folle. Un léger brouhaha s'élève mais il s'interrompt presque aussitôt.

- Alors... le Roi du bal est ... Cooper Sanders !

La ferveur s'élève dans le gymnase, les applaudissements et les sifflets fusent alors que le Capitaine des Vikings s'avance vers l'estrade, comme s'il ne s'agissait que d'une simple formalité à laquelle il acceptait d'accorder quelques minutes de son temps si précieux.

- Du calme... souffle le principal en reprenant la lecture de la feuille qu'il tient entre les mains. Et enfin, cette année, la Reine du bal est ... Jamie Rivers !

Pardon ? Il a bien dit mon nom, là ? 

Il faut croire, puisque de toutes parts on me félicite et on me donne l'accolade. C'est à mon tour de me diriger vers l'estrade, avec une démarche bien moins naturelle et décontractée que celle de Cooper, qui m'attend la main tendue en haut des quelques marches qu'il me faut monter pour le rejoindre. Un peu perdue, je jette de rapides coups d'œil tout autour de moi, et avant de poser le pied sur la scène je capte le regard de Tommy, qui me fait un clin d'oeil malicieux.

Non, il n'aurait pas osé ?

Pourtant, je ne vois pas d'autre explication à ma victoire. Lui et les autres membres du club de photographie avaient l'air sûrs d'eux quand ils m'ont dit que les sondages étaient formels et que Madison serait sacrée ce soir. Rien ne pourrait expliquer un tel changement en si peu de temps. Si ce n'est, peut-être un peu de triche... 

Je n'ai pas le temps de me questionner plus longtemps au sujet de ce couronnement surprise, Cooper est là, à quelques centimètres de moi, une lueur étrange dans le regard quand il me tend une main que je n'ai pas le temps de saisir. Parce que, dans mon dos, quelqu'un me pousse avec force, si bien que je m'échoue au sol. Aux pieds de Cooper et du principal qui me regardent, l'air perdus. Finalement, quand le choc est passé, le Capitaine des Vikings se précipite pour m'aider à me relever, mais à peine suis-je sur mes pieds, que je subis une nouvelle attaque. 

Cette fois, je parviens à rester debout, et quand je me tourne pour faire face à mon agresseur, je ne suis qu'à moitié surprise de me trouver nez à nez avec Madison. Elle me fixe d'un regard si noir qu'elle me ferait presque peur, si sa colère ne semblait pas aussi déplacée dans le corps d'une petite blonde en robe rose poudrée. La parfaite petite poupée qui pète un plomb de manière spectaculaire. Franchement, la scène prêterait à sourire, si je n'étais pas la cible de sa rage. 

- Non mais ça te suffisait pas de me piquer mon mec et de me ridiculiser ? Il a fallut en plus que tu me voles mon titre ? hurle-t-elle sans se rendre compte qu'elle a, une fois de plus, tout un auditoire. 

- Je ne t'ai rien volé du tout, Madison, tempéré-je, du ton le plus calme possible.

Mais la furie ne l'entend pas de cette oreille. Inutile d'essayer de lui faire comprendre que je ne suis en rien responsable de sa rupture, ni même de ce simulacre de couronnement qui a probablement été saboté par mes "petits geeks". Les bras croisés, j'attend qu'elle veuille bien se calmer. Seulement, mon attitude, loin de l'apaiser, lui apparaît plutôt comme de la provocation. Elle s'emporte encore et finit par s'égosiller en piétinant en tous sens. Et quand elle se trouve plantée devant le micro, et qu'elle s'apprête à prendre la parole, je capte un nouveau regard étrange de la part de Tommy, qui ne m'est pas destiné, cette fois. Je vois bien qu'il fixe un point dans mon dos, à l'écart de la scène, dissimulé derrière les tentures dressées pour l'occasion. Mais ce n'est qu'au moment où il hoche légèrement la tête que je comprend.

Les mots de Laina à notre dernière réunion du club de photographie me reviennent et je sais que je n'ai plus le temps de tergiverser. Je me précipites sur Madison et la pousse à mon tour de toutes mes forces pour l'éloigner du micro. A peine l'ai-je fait qu'une épaisse substance gluante me tombe dessus. 

Une chance que Laina ait préféré la gelée de groseille au sang de porc, parce que j'en suis recouverte. Et comme si cette vision suffisait à lui faire reprendre ses esprits, le Proviseur se met à hurler en nous pointant du doigts.

- Tous les trois ! Dehors, avec moi !


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