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Il était réellement magnifique, d'une beauté dépassant toutes les limites du possible. Il avait une peau caramel et des yeux d'un vert émeraude. Des boucles brunes retombaient parfaitement sur son front. Mais il était froid, glacial, même. On ne pouvait lire d'autre que la colère et la haine dans son regard.
Je l'ai aperçu pour la première fois à l'une de ces soirées d'étudiants auxquelles je participais chaque semaine. Il était seul, comme d'habitude, dans une des chambres de la résidence, entouré de débris de bouteilles de vodka et de gobelets en plastiques explosés. Il était affalé sur le lit, les bras ballants.
Je n'ai jamais su pourquoi, mais j'ai été soudain prise d'une attirance irrépressible pour lui, pour son corps et l'être qu'il était. Je me suis avancée vers lui, d'un pas décidé, poussée par l'envie que je ressentais et par le feu qui embrasait tout mon corps, jusque dans la pointe de mes cheveux.
Si ses yeux avaient pu lancer des lames, j'aurais été transpercée dès le premier mètre que j'avais parcouru. Je pouvais nettement discerner cette férocité animale qui l'animait.
Je l'ai regardé durant ce qui me semblait être une éternité, sans faire un pas de plus. Jamais ses yeux ne perdaient cet éclat de rancœur. Jamais il ne s'est détourné de moi. Il m'a fait face, du début jusqu'à la fin, avec ce même orgueil et cette même répulsion. Voir qu'il me méprisait autant m'a blessée. Les humains n'apprécient guère que leur égo soit heurté.
J'ai fini par quitter la pièce en prenant soin de claquer la porte de toutes mes forces. Et je me suis rendue compte, qu'en fait, je pleurais. Je ne comprenais pas ce que j'avais fait pour mériter un tel regard. Il était peut-être sublime en apparence, à l'intérieur il était laid. Même hideux.
Quelques heures plus tard, mes pieds m'ont guidés d'eux-même vers cette même chambre. Sa chambre, en fait. Il fallait que je lui demande pourquoi il me détestait ainsi.
J'ai ouvert cette porte pour la deuxième fois de la soirée. Il était toujours affalé sur le lit. Et il dormait. Sa beauté était encore plus incroyable qu'avant, maintenant que ce rictus sévère avait enfin déserté son visage. Cette flamme s'est ranimé en moi.
Il s'est mis à trembler soudainement. Des spasmes incontrôlés. Il gémissait faiblement et murmurait des mots presque inaudibles. Attend, il avait peur ? Ce mec là ? Et c'est alors qu'il cria d'une voix secouée par l'angoisse : "Non ! Ne m'abandonne pas, je t'en prie ! Reste avec moi". Il suppliait de toutes ces forces cette personne que je ne pouvais pas voir.
Et puis il ouvrit les yeux. Il chialait comme un môme. Je m'attendais à ce qu'il me hurle dessus, me frappe même, peut être, d'être entrer dans sa chambre. Mais il a ouvert ses bras et m'a attiré contre son torse, qui s'abaissait et se gonflait d'un rythme effréné.
Je ne voyais plus de colère dans son regard. Plus de haine et de mépris. Il y avait seulement une souffrance telle qu'il n'en dormait plus, cette peur de revivre les mêmes épreuves qu'autrefois. C'était sûrement sa crainte d'être à nouveau rejeté qui l'a poussé à haïr le monde à ce point. J'avais devant moi, rien qu'un garçon désespéré, qui cherchait à se libérer des ronces de son passé.
J'ai alors compris que rien n'était perdu, que je pouvais peut-être le sauver à ma manière, en lui offrant tout l'amour que j'éprouvais. Personne n'est méchant au début, les gens sont seulement brisés, et parfois, un peu d'attention peut suffire à les réparer.