Extinction

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Des centaines de corps sont fichés dans la terre, surmontée de leurs bras dansant au gré du vent. Leurs mains vertes tombent de temps à autre, mais grandissent de nouveau pour cacher des têtes dénudées. Au sol, des milliers de doigts verts encerclent les corps marrons décorés par des bagues blanches et dorées. La vie y est calme. Un peu trop. Souvent, ces bijoux sont attaqués par des petits êtres volant de couleurs jaunes aux rayures noires. Elles les assaillent en prenant leur cœur. Heureusement qu'il repousse. Des corps poilus grimpent le long des troncs irréguliers marqués par leur ancienneté. Ces monstres voûtés, aussi sombres soient-ils, sont appelés des singes. Il y en a de plusieurs couleurs et espèces différentes. Ce sont les rois de cette terre qu'ils partagent. Ils sont entourés d'une tribu immobile de corps marrons à la tête verte. Sans elle, les singes ne pourraient plus respirer. C'est pour cela qu'ils la protègent. De quoi ? Des dieux.

Du ciel vient de temps à autre des lueurs vives aussi petites qu'un bâton, mais aussi dévastatrices qu'une comète. Il y a des périodes de froids mortels et de chaleurs infernales. Les morts ne se comptent plus. Les doigts verts repoussent. Les singes, non. La guerre entre les tribus poilues et les dieux a commencé depuis des générations. Jamais ils n'ont pu les toucher, les voir ou leur parler. Ils ont juste succombé. Toutes les semaines, des cadavres sont retrouvés, les macchabées serpentent leur cimetière de fortune. Parfois, les dieux sont cléments et leur laissent des moments de répit. C'est pendant ces accalmies qu'ils font le plein de réserves. Ils se baignent dans un liquide agrippant les poils, mais qui se déguste avec complaisance. À l'intérieur de cette source de plaisir infini se cache de la nourriture vivante. Cette dernière frétille et nage, espérant ne pas se faire attraper. La vie est dure, chacun pour sa peau. Une espèce contre une autre.

Quelquefois, les tribus se déchiquettent. Les doigts verts deviennent rouges. La couleur de la mort selon eux. Ce sont ces crises passagères qui détruisent, puis rassemblent ensuite. Une fois l'accalmie terminée, les cauchemars reprennent. Les nuits courtes à profiter de chaque respiration en se demandant quelle sera la prochaine catastrophe. Des constructions sont établies pour stopper les forces mystiques, en vain. Ils ne comptent plus les tombes, ils additionnent les survivants. Le seul et unique espoir réside dans un changement d'habitat. Une période glaciaire annonce sa venue par des chutes de températures monstrueuses. Les troncs, auparavant marrons, blanchissent. Les bagues s'écroulent, cachées par une substance blanche très froide. Les singes évitent cette projection attirée sur la terre et envoyée par le ciel.

La vie retrouve son calme après que les singes aient marché trois jours et trois nuits sans presque jamais dormir. La moitié de la tribu n'a pas tenu et s'est écroulée en chemin en implorant le retour inexistant de leurs congénères. Une tache noire inerte se floutait au travers du voile épais de points blancs lorsque les plus courageux tournaient la tête. La rumeur qu'une extinction se prépare transperce le peu de courage et d'espoir restant des damnés. Les survivants dépriment et pleurent la mort de leurs proches. Des femelles, des bébés et des mâles. Tous ont pris un chemin sans retour possible. Le chaos règne à l'intérieur du cocon vert. Que les dieux arrêtent ce massacre !

Un point marron aussi petit qu'une brindille se dessine dans le ciel quelques jours plus tard. De l'interrogation figure à la place de leurs deuils. La tribu est obnubilée par cette protubérance accrochée au ciel qui le souille de toute sa splendeur. Chaque jour, la tache paraît avancer dans leur direction. Elle grandit à vue d'œil, dévoilant de plus en plus ses traits physiques. La crainte gagne l'interrogation des singes, suivie par la peur qui les achève. La brindille s'est transformée en une boule échancrée de la taille de la Terre. Les espèces se cachent, pleurent et s'inquiètent. La fin du monde est proche, ce n'est plus qu'une question de jour. Les animaux tels que les ours se mettent à l'abri dans leur tanière, prêts à affronter leur destin. Une fin tragique. Une mort certaine. Les singes décident d'appeler cette sphère géante une « comète ». Pourquoi ? Une intuition...

La comète se rapproche dangereusement, sifflant sur leurs tombes. La source de lumière qui éclaire le ciel et leur permet de vivre, s'éteint définitivement en laissant place au noir absolu. Certains pleurent, d'autres rient de cette vie catastrophique, et d'autres encore profitent de leurs derniers instants comme s'il en restait une infinité à venir. Les petits êtres jaunes à rayures doivent rester cachés, car ils ne les voient plus. Ou alors, la mort a pris le dessus. Les singes remercient leurs compagnons de voyage avant de sombrer dans un néant immortel. La vie a été un fardeau pour certains, un cadeau pour d'autres et un radeau pour les plus démunis. Mais plus rien n'a d'importance maintenant.

La comète avale sa proie, ne lui laissant pas le temps de souffrir. Toute source de lumière se détruit sur la Terre. Les rivières explosent, la tribu marron brûle et les singes se consument. Quelles que soient les querelles qui se déroulaient entre toutes les espèces, à la fin, la cohésion n'était que plus grande. Main dans la main et unis à jamais, ils ont sombré dans le repos éternel. Ce n'est plus l'enterrement des singes ou des espèces en général, c'est l'extinction de la Terre. Maintenant, les seuls souvenirs de cette petite planète se retrouvent éparpillés dans l'espace en millions de fragments. Les singes ont résisté, mais la Terre a flanché.

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