Les fleurs, à cette époque de l'année, étaient déjà rares. Pourtant, les fenêtres de tous les villages étaient revêtues de camélias et de viornes hivernales. Il faut dire que dès l'annonce de l'armistice en novembre 1918, la France fut submergée par la joie du retour des soldats chanceux qui avaient résisté aux orages d'acier et aux pluies de plomb. A travers tout le pays, d'Amiens à Montauban en passant par Troyes, les femmes, les enfants et les quelques hommes qui n'avaient pas été mobilisés assistaient aux retours des premiers combattants du front.
Certains n'avaient pas la même chance. Ils ne reverraient plus jamais leurs pères, leurs maris, leurs frères ou leurs fils. Ils ne reverraient peut-être pas même leurs corps, disparus sur les champ de bataille ou méconnaissables à cause de l'animosité des combats.
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Dans tout ce malheur, André avait réussi à s'en sortir. Au début de la guerre, ce jeune homme avait vite appris sur le terrain. Il s'était familiarisé avec l'argot des gourbis et savait reconnaître le type d'obus qui allait frapper à la simple écoute du bruit créé. Ses supérieurs l'avaient remarqué et on le considérait comme un des meilleurs soldats du 129ème régiment d'infanterie. De ce fait, il organisait souvent des raids nocturnes dans les tranchées ennemies dans le but de tenter d'obtenir des informations secrètes ou de capturer des prisonniers.
Cependant, les problèmes commencèrent pour André lors de la bataille de Champagne en 1915. Un soir, il quitta la tranchée pour un raid nocturne avec deux frères d'arme à lui, Joseph et Louis. Ils traversèrent le no man's land et se glissèrent en tapinois jusqu'aux obstacles des allemands. Tout à coup, André entendit des tintements juste devant lui, dans les barbelés. Quelques allemands se montrèrent. Louis lança sa grenade comme une bille à ras du sol. Un éclair illumina des formes vacillantes. Braillant "Du bist Gefangenen !", ils bondirent comme des tigres au sein de la nuée blanche. André braqua son pistolet sur un visage qui luisait devant lui. La tranchée devant eux s'animait. Des appels retentirent, une mitrailleuse se mit à pétarader. Les trois soldats tentèrent de fuir pour rejoindre leur tranchée. André fut contraint de se jeter dans un trou rempli d'eau et ne connut pas le sort de ses camarades. Des bouts de barbelés et des éclats de balle balayaient la pente du cratère. Après une demi-heure, quand le feu eut cessé, André escalada la pente et tomba nez à nez avec un groupe d'allemands qui fouillait les lieux pour le retrouver. Ils savaient qu'André avait terminé sa course dans ce trou. Le pauvre homme n'eut d'autres choix que de se rendre et fut prisonnier.
Après sa capture, André fut transporté dans un camp de prisonniers à l'est de Brême: le camp de Soltau. Durant plusieurs jours, il parcourut dans un camion avec d'autres prisonniers une partie de l'Allemagne pour rejoindre un des Mannschaftslagers, les camps basiques où sont amenés les captifs. C'est à cet endroit qu'il vécut pendant trois ans. Trois années de sa vie à vivre entassé avec les autres déportés dans des baraques de 250 places. Il s'était lié d'amitié avec plusieurs autres détenus. Il en avait vu certain mourir à cause des maladies pulmonaires mais avait résisté à toutes les autres maladies qui pouvaient toucher le camp. La nourriture, essentiellement composée de soupes de légumes du moment, suffisait à peine à maintenir la faim au sein du camp. Les journées étaient longues quand il n'y avait rien à faire et le reste du temps, André travaillait dans les champs. Indirectement, il permettait de nourrir le peuple allemand. Le plus dur pour lui était de ne pas pouvoir communiquer avec Jeanne, sa femme avec laquelle il s'était marié deux ans avant le drame. A ce moment-là, elle ne pouvait pas imaginer que son homme était en Allemagne, vivant mais captif. L'armée lui avait très probablement envoyée une lettre l'informant qu'André était porté disparu sur le champ de bataille. Plus le temps passait, plus André perdait espoir de revoir un jour son village natal de Normandie: Cailly.
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Le temps d'un deuil
Short StoryAndré, jeune homme mobilisé dans la Première Guerre mondiale vient de sortir du conflit. Il rejoint son village natal de Normandie Cailly avec l'espoir de retrouver sa vie passée. En arrivant sur les lieux il va constater avec tristesse les plaies c...