Chapitre 4 - partie 1

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— Je m'appelle Garance Ficy, j'ai dix-sept ans, je viens d'emménager à Paris pour le travail de mon père, j'ai deux petites sœurs, Élise et Amélie...

Je fais tourner mon cerveau à cent à l'heure pour dénicher l'information qui pourrait me décrire au mieux devant cette trentaine de paires d'yeux inquiétants. Pour cela, j'ai acquis des compétences surnaturelles pour ne pas les croiser, comme fixer les profs qui font (presque) toujours semblant de s'intéresser à ce qu'on raconte, ou fixer les murs jaunis de la petite salle de classe. A cet instant, j'adopte ma technique numéro une.

— Et j'aime beaucoup monter à cheval ainsi que les cours de biologie.

Je fixe avec intensité ma nouvelle professeur principale pour lui indiquer que ma petite présentation ridicule est finie et qu'elle a intérêt à me laisser me rassoir à ma place pour que je puisse à nouveau me fondre dans la masse. Je déteste être le centre de l'attention, tous ces yeux qui me fixent et guettent le moindre faux pas me stressent au plus haut point.

— Merci Garance. Vous pouvez aller vous rasseoir.

Enfin. Puis la femme aux cheveux bruns coupés au carré s'adresse au reste de la classe :

— Je compte sur vous pour l'accueillir comme il se doit. Arriver dans un nouveau lycée au milieu de l'année n'est pas une chose des plus faciles, qui plus est en terminale.

C'est clair. Je ne souhaite ça à personne. Je quitte le tableau pour retrouver ma place solitaire au coin droit du fond de la salle, tandis qu'elle reprend son cours d'histoire. Comme tous les élèves me tournent le dos, j'en profite pour balayer la salle du regard. Nous sommes juste après les vacances de février, et j'essaye de me repérer dans mon nouveau lycée. Et cela commence par reconnaître les élèves de ma classe.

J'ai été accueillie il y a à peine une heure par ma nouvelle professeure principale qui s'est présentée comme Mme Kane et ma professeur d'Histoire-Géo. Elle m'a conduit dans notre salle, et comme nous étions en avance, m'a laissé choisir ma place tout en m'expliquant où ils en étaient dans le programme.

J'ai choisi la table du fond pour ne pas avoir à parler, et, bingo, personne ne s'est assis à côté de moi. Je pensais pourvoir réaliser mon rêve le plus cher, me fondre dans la masse, mais une fois que toute ma classe est arrivée, elle m'a demandé de me présenter. Chose gênante puisque je déteste parler devant tout le monde. Surtout de moi, ou de mon déménagement.

Oui, je viens d'emménager à Paris pour le boulot de mon père. Et clairement, je n'en avais pas envie. A cause de ça, j'ai dû quitter au milieu de l'année mon ancien lycée, mes amies, l'équitation et mon cheval Tourne-Vent, ainsi que ma maison à la campagne. Même si elle ne se trouve qu'à deux heures d'ici en Normandie, elle me semble être à une infinité de kilomètres.

Bon, je ne cache pas que Paris est très pratique puisqu'on n'a pas besoin de faire des kilomètres pour trouver un magasin (la chose que ma mère déplorait le plus dans notre ancienne maison). C'est grand, haut et beau. Et puis il y a la tour Eiffel. Mais les bruits citadins et la petitesse de mon appartement me donnent l'impression d'étouffer. La campagne et ses grands espaces me manquent.

Depuis hier soir j'essaye de ne pas trop penser à ce qu'il s'est passé pendant ce weekend. Anaïs n'a pas encore été retrouvée. Mon grand-père nous a dit que les recherches continuaient. Ma tante et son mari sont toujours chez eux, à guetter le moindre signe de vie de la petite fille. J'envie mes cousins qui habitent juste à côté et qui peuvent être prévenus en temps et en heure. Quand je sortirais des cours, il va falloir que je pense à appeler Clara pour lui demander des nouvelles.

C'est à ce moment que la porte de la classe s'ouvre en grand et claque contre le mur de derrière, interrompant mes pensées moroses. Un gars fait son entrée et s'adresse à la prof avec un ton magistral.

— Bonjour. Excusez-moi, il y avait des retards dans le métro.

J'ai du mal à savoir s'il est vraiment désolé ou s'il se moque de la prof. Mme Kane fronce les sourcils, et son expression joviale se transforme en un rictus crispé.

— J'ai l'impression d'entendre cette excuse un peu trop souvent, Robin.

— C'est pas ma faute, j'y peux rien. Allez dire ça à la RATP, peut-être qu'ils vous écouteront... Mais j'ai un billet de retard.

Ok, ce gars veut se faire remarquer. On dirait un peu les bad boys insolents dans les romances américaines. Nullement intimidé par la professeure, il lui tend le petit papier. Celle-ci roule des yeux, mais ne bronche pas. Comment peut-elle être aussi tolérante ? Si j'étais elle, je l'aurais déjà remis à sa place. A ma grande surprise, je le vois murmurer un désolé muet.

— Très bien, il reste une place au fond.

Je tourne la tête à ma gauche pour voir quelles sont les autres tables de vides. Merde. Évidemment, comme une drôle de blague, la seule place libre se trouve à côté de moi. Je faillis grimacer, mais me reprends. Après tout, ce ne serait pas mal que je pense à me sociabiliser et à essayer de me faire des amis si je dois passer le restant de ma scolarité ici. Même si je doute de sympathiser avec un mec dont le seul but est de se faire remarquer. Je prends donc un air neutre, ni enjoué, ni déçue et je vois le gars hocher la tête. Comment s'appelle-t-il déjà ? Robin ?

— Je vous laisse faire la connaissance avec Garance, votre nouvelle camarade.

Robin me jette un regard et hoche une nouvelle fois la tête. C'est gênant comme situation. Je baisse mes yeux, mes feuilles de cours me semblant soudainement très intéressantes. Cette couleur ! Et toutes ces petites lettres !

Tandis que la prof recommence à parler je sens que Robin traverse la salle pour venir s'installer à côté de moi. Il est devenu tout silencieux depuis que la prof lui a fait des reproches. C'est étrange. Souvent, dans les bouquins, le bad boy a toujours une bonne répartie à déballer à la professeur et des potes qui rigolent à la moindre de ses "blagues". Peut-être parce que tu n'es pas dans une romance et que ce Robin n'est pas un de ces bad boys clichés...

Je le regarde déballer ses affaires en restant debout et en m'ignorant.

— Salut.

Voilà. J'ai manifesté ma présence. Il se tourne, vers moi, un sourire polis aux lèvres. Mais dès que son regard se pose sur moi, son sourire disparaît, remplacé par une expression d'incrédulité. Sa bouche s'arrondit et je vois ses yeux parcourir rapidement mon corps, et détailler mon visage. Son geste me met mal à l'aise, puisque je suis la personne la plus banale qui soit : fille d'un mètre soixante-cinq, corpulence moyenne, cheveux châtains arrivant au niveau des omoplates, visage carré et yeux bruns-verts. Même mes vêtements sont banals (jean et pull large rose pastel).

Alors je ne me gêne pas pour l'observer à mon tour. C'est un garçon assez grand (comme il est toujours debout, je peux estimer sa taille à un peu plus d'un mètre quatre-vingt). Son visage est carré, arrondi par sa mâchoire forte, sans paraître grossier car tous les traits de son visage sont harmonieux. Ses cheveux sont cours, très foncés presque noirs qui contrastent avec sa peau qui est d'une blancheur extrême.

Mais cela fait ressortir ses... Oh mon dieu ! ses yeux. Ils sont magnifiques. Bleu foncé. Bleu Profond. Bleu Océan. On croirait qu'on peut s'y noyer. C'est plus fort que moi, je ne peux pas le quitter des yeux. Je les observe mes détailler puis revenir à mon visage et fixer ses pupilles dans les miennes. Ce moment pourrait être gênant, mais je ne le ressens pas ainsi.

Il m'est comme naturel de regarder ses yeux. Comme si je les avais toujours regardés, toujours observés. Je suis comme ensorcelée par leur couleur. Comme si je me noyais dedans. Le bleu m'enveloppe, me retient prisonnière, m'empêche de remonter à la surface.

Je coule.
Je me noie.
Je n'ai plus d'air.

DIVISÉS - Transformation [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant