Chapitre 39. Me réveiller

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On ne s'était endormis qu'à l'aube, après une nuit à faire l'amour et à discuter.

J'avais entendu Violette quitter mon lit, j'avais senti son corps se détacher du mien. Pendant quelques secondes, je m'étais imaginé que comme avant, elle partait simplement en cours, qu'elle allait revenir après sa douche, pour me glisser quelques baisers dans le cou.

Elle savait que je ne dormais plus, mais elle avait fait semblant d'y croire. Lorsqu'elle s'était assise au bord du lit, qu'elle m'avait observé de longues secondes avant d'embrasser ma joue, très légèrement. Puis elle avait approché ses lèvres de mon oreille pour chuchoter quelques mots.

— Ne perds pas de temps à regretter tout ça. Un jour ce sera vraiment la fin du monde et je serai là, c'est promis.

Elle avait déposé un nouveau baiser au coin de mes lèvres et quitté ma chambre sur la pointe des pieds.

J'avais recouvert mon visage avec mon oreiller pour ne pas entendre la porte claquer.

J'avais perdu mon frère pour une meuf.
J'avais perdu ma meuf pour un frère.

Qu'est-ce qui allait pas chez moi ?

Un million de choses à faire aujourd'hui, aucune ne me faisait plus envie que de dormir pendant trois ans.

Je tentais de me rendormir mais des flashs de la journée de la veille et de la nuit me revenaient sans cesse. Ken furieux, Violette en larmes, j'avais l'impression constater les dégâts de la tempête du siècle.

Cette métaphore sinistre me rappela un célèbre poème de Kipling appris au collège.

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaitre,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maitre,
Penser sans n'être qu'un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.

Là tout de suite, j'avais du mal à être un homme. Pourtant Dieu savait que j'avais pendant longtemps utilisé ce texte comme une ligne directrice de ma vie.

Mon portable sonnait depuis vingt minutes, enfin, depuis deux jours je l'ignorai, sachant que les mecs me pourrissaient et que leurs femmes demandaient des explications.

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