55 風之歌 Vindsang

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La corne de brume du bateau se perdit dans l'immensité blanche comme le cri lointain d'une mouette.

— Vous avez aimé les îles Sakhalines ? demanda un homme ventripotent au crâne dégarni et aux mains rugueuses couvertes de bagues en or. 

— Pour ce qu'on a payé, j'aurais aimé avoir le droit de chasser plus de baleines et qu'on voit au moins deux ou trois monstres... C'est pour ça qu'on paye des impôts ? Devoir respecter des quotas de chasse ? lui répondit une vieille dame aux cheveux peroxydés qui portait des bottes montantes avec une tenue de chasse de grand luxe. 

— Vivement qu'on arrive au Dongnan, je ne peux plus supporter ces ports de pêche qui puent le poisson pourri et ces regards insistants de marins basanés. 

— C'est vrai, qu'est-ce que leur peau est sombre à ces gens d'Outremer, au début je croyais que c'était simplement de la crasse... Enfin, vivre dans des huttes sans système électrique ne doit pas aider à maintenir un niveau d'hygiène correct. 

— Il n'y a pas que les gens d'Outremer qui ne semblent pas savoir se laver, ajouta l'homme en jetant un regard dédaigneux à la femme qui se tenait à côté d'eux sur le pont avant du bateau, les bras appuyés sur la rambarde de sécurité, fixant l'horizon par-delà les immenses icebergs qu'ils croisaient. 

Mastani tourna la tête vers lui et lui lança un regard noir sans répondre. Trop content de pouvoir critiquer sans craindre de réactions, il reprit:

— De nos jours on accepte vraiment n'importe qui à bord. Je croyais qu'on était en guerre avec les Etats Eurasiens ? On ne devrait même pas laisser ces gens circuler librement dans le pays. Qu'est-ce qui nous dit que ce ne sont pas des espions ?  

— Vous avez-vu son accoutrement ? Et le petit d'Outremer qui la suit partout, on dirait une bande de pillards...

— Très chère, je dirais plutôt des va-nu-pieds. Vous surestimez ces mendiants...

— J'ai pourtant cru voir une arme à la ceinture du garçon.

— Par la déesse de la compassion, vous l'avez signalé à un garde ? 

— Nous devrions monter sur le pont supérieur avant que-

— Avant que quoi ? 

Les deux bourgeois sursautèrent simultanément et se retournèrent vers la voix puissante qui avait retenti d'un seul coup comme le tonnerre. Grønvold, qui avait repris du poil de la bête, s'était glissé juste derrière eux pour les dominer de sa taille impressionnante. 

— Aller, dégagez, siffla-t-il en les toisant du regard. 

Si opulents soient-ils, ils détalèrent comme des poules effrayées vers les hauteurs du pont supérieurs d'où ils pourraient retrouver une distance suffisante avec la plèbe.

 Grønvold s'approcha de Mastani et s'appuya sur la rambarde à côté d'elle. 

— Je déteste voyager en bateau quand ce n'est pas le mien. Le mec à la barre avance en danseuse, il passe dans les blocs de glace les plus durs sans se soucier de la coque...

Ils n'avaient pas trop eu le choix. En arrivant au port, ils avaient dû s'engager comme matelots saisonniers pour avoir le droit de monter à bord. Un poste dégradant pour eux... 

—C'est juste le temps d'une traversée, Grønvold. Dès qu'on sera de l'autre côté, vous pourrez repartir dans ce bourbier qu'est Heidao pour reformer un équipage de charmants écorcheurs de dauphins et mangeurs de méduses...

Il faillit rire mais son regard se perdit dans un océan de tristesse. 

—Ce ne sera jamais mon équipage. Mes hommes, c'était ces gars. Vous le savez mieux que moi, de bons coéquipiers, c'est irremplaçable, dit-il en tournant la tête vers le jeune Yuya qui jouait aux cartes avec trois matelots. 

MASTANIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant