Je me suis laissé entraîner : voilà !
Je réponds ainsi à tous ceux qui voudraient savoir comment j'ai pu me commettre à lire un ouvrage grand public et pour ados, ayant connu un tel succès et écrit si récemment. C'est ma femme, voilà, tout est sa faute ; elle a dit encore : « Tu ne lis jamais ce que je lis ! On dirait que tu le fais exprès pour me contrarier ! » Elle a ajouté : « Tu pourrais essayer au moins celui-ci ! On y trouve toutes sortes de références médicales et scientifiques qui pourraient t'intéresser ! » Alors, j'ai mis le livre de côté sur mon meuble spécial, le meuble « porteur-des-livres-à-venir », en gros entre un Mallarmé et un livre sur Nietzsche, et puis j'en ai fait à ma tête, j'ai attendu un peu – suis généralement si contrariant ! –, et environ deux mois plus tard, j'ai dit : « Bon, essayons un peu pour voir ! » Entretemps, mon épousée m'avait recommandé d'autres choses, et lorsque je lui annonçai ma résolution sur ce livre-ci, elle eut cette redoutable pudeur de dire, en cet ultime moment : « Oh ! mais c'est assez loin d'être ce que j'ai lu de meilleur, ces derniers temps ! »
De cette façon, elle prévenait mes critiques potentiellement acerbes : c'est qu'elle avait proposé ça comme ça, presque pour plaisanter !
N'importe : j'aurais pu changer d'avis, je ne l'ai pas fait, preuve de mon tempérament opiniâtre, de mon caractère méthodique et définitif ; ce que j'exigeai de savoir en vérité, c'est sur quelle recette un livre à succès international était conçu. On ne sait jamais, entre deux idées de roman, je pourrais en imaginer un qui me vaudrait un grand triomphe, alors si d'occasion je n'avais pas de préférence entre les deux... autant me lancer dans le scénario le plus couru !
Je lus.
(En passant : le livre a un déplorable alibi français ; il semble une chose de culture parce que son titre use partiellement d'un vers traduit de Shakespeare, prologue à Roméo et Juliette – mais en fait, The Fault in Our Stars, titre originel, paraît même en anglais d'une laideur assez notable, laideur que la traduction littérale La Faute dans nos étoiles révèle encore plutôt bien.)
Scénario : Hazel et Augustus, deux adolescents plus ou moins incurables du cancer et infiniment naïfs, se rencontrent au cours d'une séance de psychothérapie. Ils s'aiment bien sûr à peu près tout de suite, vivent tous les complexes de deux condamnés à la mort à court terme, voyageront un peu le temps de découvrir que Augustus va vraiment mourir – ce qui ne fait aucun doute dès le début –, après quoi s'ensuivront tous les atermoiements de l'agonie, de l'enterrement, et du legs (Ô souvenirs ! Par quoi te rappelleras-tu aux vivants, ô pauvre mortel ! bla bla bla). C'est émouvant comme une série B dont le seul scénariste aurait fait grève pendant presque tout le tournage. Cette débauche de guimauve attrape-fillette est tout sauf profonde et difficile à écrire ; et je crois, sans ménagement, qu'il est temps que le lecteur s'aperçoive professionnellement que ce qu'il a lu est une pauvreté.
Tout d'abord, l'amour des personnages qui construit l'essentiel de la trame narrative est un immense cliché, présentant avec une pseudo hardiesse un adolescent désireux de conquête et une demoiselle tout à fait complexée : couple improbable... et d'un vaseux ! C'était déjà ennuyeux du temps de Chrétien de Troyes, c'est devenu carrément la lapalissade la plus éculée du millénaire. Il faut environ deux minutes de réflexion pour camper les personnages dont la psychologie est limitée aux idées reçues d'un élève passablement mièvre de classe de cinquième. Cette pureté poisseuse confine vraiment à la bêtise la plus invraisemblable, probablement pour nous tirer de la nostalgie, ce sentiment presque universel de nausée imbécile : Hazel ne trouve rien de mieux à faire que de s'empêcher d'être heureuse « par crainte que sa mort n'afflige son prétendant », et ce dernier, en preux chevalier charmant, ne résiste pas à courir cette fille extraordinairement résistante à ses assauts comme s'il n'avait rien de mieux à faire que de « découvrir et percer ce cœur d'une si tendre et candide beauté » !
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
Non-FictionDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.