Rencontre

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Elle était vieille, bancale et sale, cette porte que je détestais. J'avais d'ailleurs toutes les raisons de le faire. À force de la fixer, j'avais fini par découvrir sa véritable nature. Malveillante était le terme qui lui seyait le mieux. À chaque ouverture, j'affrontais ses ricanements sinistres qu'elle camouflait dans ses grincements stridents. Elle me narguait ouvertement, cette simple planche de bois. Elle savait que malgré mes envies de la fracasser ou de la réduire en copeaux, je ne pouvais que rester là à la critiquer à longueur de journée. Je n'avais d'ailleurs rien d'autre à faire la plupart du temps. J'étais coincée dans cette pièce depuis bientôt une semaine. Une semaine à être en confrontation avec un morceau de bois mort. Une semaine à trouver le temps vraiment long et à subir cette torture de l'attente. Chaque jour, je n'attendais qu'une chose : qu'il apparaisse sur le seuil et vienne me rejoindre. De la même manière, je ne redoutais qu'une chose : qu'il franchisse cette porte dans l'autre sens et disparaisse à nouveau. J'étais condamnée à vivre la joie de la retrouvaille et la déchirure de la séparation, encore et encore. Bien sûr, cette situation ne pourrait pas durer éternellement. Je ne pourrais pas rester coincée dans cette pièce pour toujours, non, cette routine allait connaître une fin, qu'elle soit heureuse ou non.

C'était précisément là que résidait le problème. Comment pouvais-je faire en sorte de partir sur une fin heureuse ? Comment pouvais-je m'y prendre pour sortir de ce programme qui tournait en boucle ? Il fallait que je passe à l'action, d'une façon ou d'une autre. Or, léger problème, ma situation actuelle ne me permettait pas de bouger, ni de parler d'ailleurs. Il n'y avait pour l'instant que mes pensées qui bondissaient dans tous les sens. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir essayé de me sortir de là. J'avais vraiment tenté tout ce qui était en mon pouvoir, mais rien ne s'était révélé suffisant jusqu'à maintenant. Les heures qui défilaient, imperturbables, ne faisaient qu'accentuer l'urgence à me sortir de cette situation.

L'homme à qui j'avais dévoué ma vie et à cause de qui je me retrouvais dans cette situation s'appelait Mathieu. Son tyran de producteur l'appelait Matthew parce que « c'était tellement plus classe » et son entourage, de ce que j'avais pu comprendre, l'appelait Math. J'avais quant à moi décidé de rester sur Mathieu. Mathieu, donc, était un chanteur plutôt populaire. Tous les jours, de nombreuses lettres de fans remplissaient sa loge. Seb, le batteur qui l'accompagnait, adorait les réciter à pleins poumons pour charrier son ami. Ses admirateurs et admiratrices y parlaient sans cesse de sa peau bronzée, héritée d'une mère guadeloupéenne, de ses longs cheveux bruns bouclés et de ses yeux pétillants d'un vert bleu irréel. Des paragraphes entiers soulignaient sa tenue et son sens du style, louant les bienfaits des chemises amples ouvertes et des pantalons moulants là où d'autres s'extasiaient de sa voix suave et sensuelle. Ce genre de lettres ne manquait jamais de faire comprendre explicitement au chanteur tout l'effet qu'il avait sur ses fans.

Si ma première impression avait d'abord confirmé ces descriptions idylliques, l'illusion s'était brisée au moment où nous nous étions retrouvés seuls dans la loge. À la seconde où la porte s'était refermée et l'avait coupé de l'extérieur, il n'était plus rien resté de son sourire, de ses yeux pétillants et de sa tenue. Je ne voyais plus qu'une ombre triste et cassée qui laissait entrapercevoir un visage horriblement inexpressif dans un corps recourbé. Cette porte l'avait changé. Par je ne sais quel sortilège, elle avait transformé mon chanteur en un reflet raté de lui-même. Moi qui avais passé les dernières heures à rêver de notre rencontre et rempli ma tête de ses sourires, je m'étais sentie comme aspirée par un gouffre plus sombre que les ailes des corbeaux que j'entendais croasser par la cheminée.

Mes pensées bien organisées et confiantes s'en étaient retrouvées mêlées et confuses. Pourquoi étais-je ici ? Qui étais-je ? Figée par la surprise, je l'avais regardé s'avancer dans la pièce, déboutonner complètement sa chemise, retirer ses colliers et s'extraire de ses chaussures avant de se vautrer dans le fauteuil. Il était resté là, sans rien faire, pendant bien plus d'une heure. Il ne m'avait même pas jeté un regard. Je sentais monter en moi une drôle d'émotion qui m'avait été inconnue jusque-là. J'étais perdue, comme si je ne découvrais trop tard que ma vie n'avait aucun sens. Je voulais hurler, casser quelque chose, sortir de cette pièce et m'éloigner de cet imposteur, mais tout cela m'était impossible. Tout ce que je pouvais faire, c'était rester là et tenter de remettre de l'ordre dans mes pensées et mes émotions.

Mathieu ne s'était relevé qu'au moment où son producteur avait débarqué, brisant le lourd silence de la loge par une assourdissante pluie d'insultes et d'ordres qui avaient semblé rebondir sur la carapace du chanteur. Celui-ci s'était redressé avec lenteur et avait gardé les yeux au sol. Il s'était ébouriffé les cheveux avant de lui bâiller au visage. Le producteur ne cessait de lui répéter qu'il s'agissait de sa dernière chance, que s'il désirait vraiment continuer ce métier, il devait apprendre à obéir et à ne plus prendre «d'initiatives ridicules et foireuses ». Mathieu avait fini par céder et lui avait répété avec un minimum de mots ce que son producteur avait voulu entendre. Satisfait, l'homme avait disparu, nous laissant, Mathieu et moi, retrouver ce silence pesant.

La porteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant