Liberté

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— Hey, elle est drôle ta rose ! On dirait qu'elle pleure !

La voix de Seb me sortit des ténèbres dans lesquelles je m'étais plongée. Doucement, je repris conscience de ce qui m'entourait. Ce rouquin avait les yeux rivés sur moi. Mon champ de vision était limité à cette tête gigantesque qui m'analysait dans les détails. Combien de temps s'était-il écoulé depuis mon absence ? Combien d'heures avais-je perdu ? J'étais confuse, et ces billes qui me scrutaient ne m'aidaient pas vraiment à me calmer. Moi qui avais voulu être remarquée, je ne pouvais cependant pas m'en plaindre. Cependant, j'aurais préféré avoir affaire à des yeux plus verts... Lorsqu'il s'éloigna enfin, je remarquai Mathieu, installé dans son fauteuil habituel. Toute son attention était dirigée sur les cordes de la guitare qu'il était en train d'accorder. Son visage était toujours aussi fermé et inexpressif, à mon plus grand malheur. Je n'étais visiblement pas la seule à vouloir attirer son attention. Vexé par ce vent que lui offrait le chanteur, Seb s'empara de ma prison de verre et me souleva brusquement dans les airs, me conduisant de force sous le nez de Mathieu. Je ne savais pas qui était le plus choqué d'entre nous deux. Pour la deuxième fois, son regard se posait sur moi, mais je n'eus droit cette fois-ci qu'à une expression ennuyée. Il ouvrit la bouche pour se plaindre, puis sembla soudain hésiter.

— De la rosée ?

Il s'était murmuré ces mots à lui-même, ignorant royalement la présence de son collègue. Celui-ci ne s'en formalisa pas et m'arracha au regard du chanteur pour m'examiner à nouveau. Si seulement mes épines étaient propulsables, pestais-je en voyant le je-ne-sais-quoi qui était en train d'apparaître dans les yeux de Mathieu s'évaporer à nouveau.

— Quoi, elle vient d'arriver aujourd'hui ? Tu crois qu'une fan te l'a cueillie directement de son jardin ? Tu en as de la chance ! J'aimerais avoir des fans aussi passionnées que les tiennes... Tu crois que je devrais me laisser pousser les cheveux ?

Il se mit alors à déambuler dans la loge, m'emportant malgré moi dans ce voyage que je n'appréciais guère.

— Je devrais sans doute me laisser pousser les cheveux oui... Continua-t-il. Peut-être les boucler un peu aussi ? Et si je me perçais les oreilles en plus...

Parti dans son propre délire, il se décida enfin à me reposer là où il m'avait trouvée, sur la coiffeuse, avant de s'éclipser de la chambre. Qu'allait-il se passer maintenant ? Mon reflet dans le miroir me fit prendre conscience de mon apparence actuelle. De minuscules perles translucides s'étaient déposées sur mon corps pendant mon absence. Étaient-ce mes larmes ? Peut-être avais-je réussi à faire passer mes émotions en fin de compte, mais si tel était le cas, Mathieu parviendrait-il à les comprendre ? Je n'avais plus qu'à attendre sa réaction. De son fauteuil, je le voyais réfléchir dans un mouvement arrêté, ses doigts en suspension au-dessus des cordes retendues. Je voulais lui hurler d'écouter cette petite voix qui s'insinuait dans mon esprit, l'encourager à briser une bonne fois pour toutes ce cercle vicieux dans lequel il s'était engouffré, mais mes efforts furent réduit à néant par une intervention brutale de l'univers.

— Tu es sur scène dans 10 minutes !

Son envoyé avait pris la forme d'un régisseur pressé, qui avait surgit par la porte, communiqué l'information avant de disparaître aussitôt. Cet univers pouvait bien aller se faire foutre. Impuissante, je le vis se lever, rattacher quelques boutons de sa chemise avant de franchir sans hésiter le pas de la porte. Tout ce que je pus apercevoir avant d'être laissée à nouveau seule dans cette pièce, ce fut son visage d'apparat. Des yeux pétillants et un sourire éclatant, destinés à un public qui se laissait tromper par la beauté d'un idéal auquel il était agréable de croire.

La porteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant