La piscine municipale de mon quartier est un microcosme de terre carrelée accueillant en son sein les habitués du latex trans bionique et autre bonnet de bain, les aficionados du grand bassin, les barboteurs tout équipés et quelques requins blancs. Dans ce bocal à poisson rouge le grand large se paie au prix de l'effort. Pour naviguer à vue, il faut parfois virer sa cuti, passer du marxisme des douches communes à l'anarchie, sur les côtes du pédiluve.
A la surface, ce n'est qu'un pullulement de bruit culbuté et d'échos de chlores sur les papilles. Un espace désincarné au carrelage immuable. Derrière mes lunettes de natation, j'écoute mes électrons se percuter le noyau en chaîne, le souci au bord des yeux, la fatigue au creux du corps. Alors je fends la foule solitaire et fond vers l'abîme. Mes pieds abandonnent le monde solide. Enfin. A perte de vue, l'horizon étroit du grand bassin. Drôle de vertige que celui des profondeurs ; les tracas deviennent solubles, la journée se noie le long de la ligne de flottaison. Sous l'onde le monde se liquéfie, les sons s'atrophient et la clameur devient murmure. Petits poissons et grands requins disparaissent pour ne plus laisser que la rumeur de leur présence. Je me blotti dans le silence, m'abandonne à l'ailleurs. Au cœur des profondeurs le corps régresse jusqu'à la prime jeunesse, tel l'enfant enfoui dans le ventre de sa mère.
L'oubli s'installe et les longueurs vagabondent, monotone mécanique du mouvement. Je m'abstrais des autres. Au fond de l'eau, la réalité de la surface surgit comme une simple envie de vivre. Les mots éclaboussent et la rage écumée restent en apnée. Mes pensées refluent, fluctuant entre les amas de corps flottants. Lorsque j'émerge et reprends pied sur le carrelage, je suis intacte et trempée. Soulagée. Je quitte la piscine avec la certitude de revenir demain pour y noyer de nouveau mon chagrin.
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La piscine
Short StoryPlonge dans ce monde ou l'ailleurs n'est que silence. Image de Manon Karsenti - instagram : man.noss