Et le destin trébucha...

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Il était là, glissant au milieu de la foule vrombissante. Cela fusait de partout, ça criait, ça klaxonnait. C'était le crissement des pneus sur le bitume, et la bétonnière qui tournait au milieu du chantier d'immeuble.

Elle marchait, au milieu du ballet incessant des couleurs criardes et des moteurs qui grouillaient, fumaient, crachaient, toussottaient à qui mieux mieux dans la jungle urbaine.

Pressés par le temps, citronés chaque jours par les obligations et les devoirs, des branchies apparaissaient chez les citadins qui ne pouvait plus garder la tête hors de l'eau. On rentrait dans le moule. On s'accoutumait à l'amertume monotone de nos vies. On mutait.
Et pour se rappeler que l'existence est sauvage, deux trois plantes squelettiques montraient de leurs doigts crochus les rails des tramways zébrés de graffitis. Les pigeons envahissaient les pavés, roucoulant pour du pain. Le ciel pleurait souvent et délavait les pâles teintes des devantures des cafés.
Par marées on remplissait les trains. L'écume d'humanité débordait sur les sièges, s'éclatait en flaques dans les couloirs. Et les portes se refermaient.
Le chauffeur n'avait pas la main lourde. Il déversait gouttes à gouttes les figures, les poussettes et les sacs sur les bancs des arrêts. Puis il les troquait pour d'autres.
La nuit était claire comme le jour. Mais le jour on apercevait au moins l'étoile pâle derrière un vague amas de nuages.

Il vivait entre des gratte-ciels et un cinéma. Elle travaillait près de la librairie dans l'échoppe d'en bas.
Il y avait tout et le monde entre eux.
Comme chaques jours, Elle descendait sa rue en marchant. Comme chaque jours, Il descendait l'escalier en se pressant.
Et ce fut ce jour, cette minute, qui aurait pu être la minute de n'importe qui d'autre, à cet instant, que le destin trébucha.
Il trébucha, en sortant de son immeuble. Devant Elle qui passait, comme d'habitude.
Il y eu un regard. Un souffle. Une main tendue, et quelque chose débuta.

C'est ce regard intelligent qui bouscula sa morne habitude. Il lui transperça la poitrine en se posant sur elle.
C'est cette main si douce qui se trouvait là par hasard, l'attrapant et propulsant son coeur plus haut que le ciel.
Et on rompit le silence, s'il y en avait déjà eu un. Des paroles, anodines comme le reste, vinrent transformer un peu plus les corps.
On quémanda l'état physique poliment, on répondit se voulant rassurant. Tout n'était que surface, une protection contre ce soubresaut de sentiments inconnus.
Cependant, si l'on passe outre ce bouclier de l'esprit et qu'on se plonge dans les fleurs du coeur, Elle se délectait de chaque mouvement, chaque son, chaque respiration. Il admirait chaque souffle, chaque battement de cils, chaque parcelle de peau.
Redessinant de leurs prunelles flamboyantes la moindre ligne, la moindre courbe, ils se dévorèrent du regard.
L'espace se dissipa. Le temps ne fut plus.
Seulement eux.

Ils s'observèrent minutieusement. La flèche mélangeait déjà leurs sangs.

Elle ne savait pas quoi, mais elle attendait quelque chose. Elle sentit que le reste de sa vie se jouait à cet instant précis. Il se prit à mesurer ses pulsations cardiaques. Il devenait nerveux tout à coup, lui qui était si confiant d'habitude. Faire un pas vers l'autre semblait si curieux.
Pour une fois, on prenait le temps. Ce n'est plus lui qui nous prenait.
La brise chuchotait au travers des branches et des réverbères une douce mélodie : carpe diem...

Après ce qui leur apparut comme une éternité, ils réalisèrent leur étrange passivité qui jusqu'alors les poursuivait dans leurs vies. Sortant du gris de la foule, ils ne subissaient plus les coup de cornes du taureau urbain. Ils se firent acteurs.
Un flot d'émotions vint alors les titiller, comme le vent qui fait glisser doucement les pétales de fleurs sur le lac au printemps.
C'était le bal de l'amour. Envie effectuait une valse avec Désir tandis que Curiosité et Fascination dansaient un tango brûlant.

Ainsi, ils balbutièrent de concerts mais, gallant, Il dantella subrepticement des compliments et des drôleries avant de lui laisser la parole. Elle ria timidement et ce rire fut pour lui cent milles grelots d'argent qu'on agitait près de lui. Ce fut comme si elle avait rallumé les étoiles.
Elle inspira et reprit souriante :

«Un café ça vous tente ?»

Et le destin trébucha - One ShotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant