Épisode 2 ~ Quand je marche... #5

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Ils avaient éteint leurs lampes. Le souffle court, Mohammed était paralysé, à l'affût du moindre mouvement suspect. Lui aussi avait entendu cet unique bruit de pas. Puis plus rien. Rien, sauf son cœur qui battait à tout rompre. Il en sentait les battements jusque dans ses oreilles. L'adolescent avait l'impression que sa poitrine allait exploser.

Il n'y avait plus aucun bruit. Mais ils n'osaient pas repartir. Car ils l'avaient tous les deux entendus très distinctement : un pied botté, comme ceux des Unificateurs, qui heurtait le sol. Il y avait bel et bien quelqu'un dans le tunnel. Rester ? Partir ? Que faire... ?

« On y va ! » ordonna soudain Fatima.

Mohammed ne voulait pas. Quelque chose n'allait pas. Il n'y avait plus un seul bruit, pas même celui des rats ou autres nuisibles. Ce n'était pas bon signe. Pas bon du tout. Mais sa grande sœur prit son visage entre ses mains et le tourna vers elle. Malgré les ténèbres, il savait que ses yeux étaient en face des siens.

« Oui, l'ambiance est étrange, marmonna Fatima. Mais on ne peut pas rester là éternellement. »

Elle avait raison, comme d'habitude. S'il y avait vraiment des Unificateurs dans les parages, ils seraient pris, qu'ils restent ou qu'ils bougent. Ils étaient si proches du but : autant continuer à avancer.

*

Un véritable sourire éclaira le visage de Juda, dévoilant une rangée de petites dents d'une blancheur surnaturelle qui lui donnaient l'air d'un prédateur. Extatique, son pouls s'accélérait à pas qui rapprochait les Bendjama de leur fin. Observer la pathétique fratrie se précipiter droit dans son piège était jubilatoire. Sans se douter de quoi que ce soit, le duo serait la première pierre de l'édifice ensanglanté de l'unité de la Patrie !

*

Sa lampe de poche réglée sur le minimum de luminosité pour plus de discrétion, Fatima se redressa et risqua un pas hors du recoin où ils s'étaient recroquevillés. Aucun mouvement suspect.

Un deuxième pas. Puis un troisième. Toujours rien. Elle s'assura que son frère suivait le mouvement et s'aventura franchement sur le chemin qui menait à leur délivrance. Courant plus qu'ils ne marchaient, ils atteignirent Villejuif-Léo Lagrange sans encombre. Suant, plus à cause de la peur que de l'exercice physique, Mohammed talonnait sa sœur. Son estomac, retourné par l'effroi, menaçait de rendre son dernier repas.

''Plus que deux arrêts...'' Mohammed avait beau se le répéter, la terreur ne le lâchait pas. Tout son être lui hurlait de rester à l'abri des ténèbres. C'était Fatima qui le faisait avancer, l'entraînant par le bras. Elle était forte et courageuse. Après le coup d'État, elle n'avait pas hésité : elle avait cherché le célèbre Paul Germain et rejoint la Résistance. Il ne l'avait suivi que parce que l'idée de la quitter l'effrayait encore plus que l'idée de revoir des Unificateurs.

Depuis cette nuit fatidique il y a un an, être séparé d'elle était une angoisse permanente. Des Unificateurs défonçant la porte et s'engouffrant chez eux en pleine nuit, sa mère qui le cachait dans un meuble, les cris de son père qu'on torturait... Au matin, il s'était réveillé avec pour seule compagnie le cadavre mutilé de son père dans la cuisine. Aucune trace de sa mère. C'était Fatima, revenant au foyer parental après avoir fui l'armée, qui l'avait trouvé prostré dans le meuble de sa chambre, affamé, déshydraté et en proie à des délires. Rien qu'y penser le fit trembler, mais la main ferme de Fatima tenant la sienne le ramena à la réalité et le rassura. Elle l'avait sauvé. De la folie, de la mort. Elle était son appui.

Il n'en pouvait plus. Il ne voulait plus avancer. Tout ce qu'il voulait, c'était abandonner. Lutter était bien trop dur. Pourquoi ne pas s'arrêter, se laisser mourir... ?

''Plus qu'un arrêt...''

Non ! Il ne devait pas laisser tomber ! Il devait prendre exemple sur Fatima ! Elle était forte. Sa poigne sur sa main en était la preuve. Il serra la main de sa sœur en retour et continua à courir d'un pas plus assuré. Ils y étaient presque ! Ils allaient y arriver !

Et brusquement le monde s'éclaira. Alors que Fatima et Mohammed atteignaient le quai de Paul Vaillant, toutes les lumières s'allumèrent d'un coup, les aveuglant pendant quelques secondes. Ils freinèrent abruptement et Mohammed heurta sa sœur, manquant de la faire tomber. Et tels des petits animaux sauvages figés dans la lumière crue des phares de la voiture qui leur fonçait dessus, la respiration haletante, ils restèrent pétrifiés devant le cauchemar qui se jouait sous leurs yeux.

*

Merry Christmas, MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant