L'onde douce et sucrée glissait dans ma gorge, laissant sur son sillage ce goût fruité que j'aimais tant. Entre mes dents craquait la chair dorée que j'avalai ensuite, un sourire au creux des lèvres. Le fruit rouge brillait entre mes mains rêches, la douceur et la régularité de sa peau contrastant avec la mienne, sèche. Sa forme s'adaptait parfaitement à celle de ma main, si bien qu'elles semblaient ne faire qu'un. J'observai alors la trace de mes dents, la chair dorée qu'elles avaient laissé apparaître, avant de prendre de nouveau une bouchée du bonheur contenu au creux de ma main. Je fermai mes paupières au contact de mes lèvres chaudes sur la surface fraîche du fruit, avant que mes incisives ne l'entaillent de nouveau.
Mon regard allait de la pomme contenue entre mes doigts aux passants, qui allaient et venaient dans la rue sale et bondée. Ce moment fade et insipide semblait relevé par la touche de couleur et de douceur que ce fruit instaurait dans mon cœur. Les gens lâchaient sur moi des regards tout aussi sales qu'ils l'étaient, tout aussi sales que leur inspirait ma différence. Tandis que chaque tête se tournait pour observer l'étrange attraction que moi et ma pomme étions, je me sentais comme un clochard, que chaque visage semblait fusiller du regard, accusé de salir le paysage de par sa simple présence.Pourtant, je me sentais rayonner, je me sentais presque beau au milieu de tous ces corps dégueulasses. La saveur du fruit me redonnait vie et j'avais comme l'impression qu'il illuminait mes lèvres rosées.
Je vérifiai une seconde que je n'avais pas taché ma robe. Après tout peut-être que les passants avaient remarqué une énorme tache près de mon décolleté. Mais non, comme à mon habitude, mes vêtements étaient soignés, et l'odeur de lessive qui les imprégnait caressa doucement mes narines, en même tant que celle douce de la pomme dans laquelle je croquais de temps à autre. Peut être ma perruque était elle grossièrement emmêlée ? Mais non, les mèches dorées ondulaient gracieusement au gré du vent, féminisant mon visage à la mâchoire carrée. Mes lèvres d'un rose naturel rencontraient régulièrement le fruit que je dévorait avec plaisir, adressant souvent des sourires aux passants salement importunés par ma présence.
Nonchalamment adossé au mur, je frolais le mètre quatre-vingt dix et je sentais que ma carrure imposante en intimidait certains qui passaient vivement devant moi en m'adressant des regards interloqués à la dérobée. Je jetai le cadavre de ma pomme dans la benne à ordure à quelques mètres de moi en adressant un sourire narquois au porc qui me dépassait en chuchotant un « travelo » plein de mépris. Les pauvres. Un enfant me sortit de mes pensées en me lançant un grand sourire et un regard noisette empli d'étoiles,auquel je répondis aussitôt. Je voyais la curiosité dans ses petits yeux, et le mépris dans ceux de sa mère qui tira sur le bras de son fils pour l'éloigner au plus vite de ma personne.
J'entendis crier mon prénom par dessus le brouhaha de la ville. Je levai la tête en cherchant mon ami du regard et lui répondit d'un geste de la main tandis qu'il s'époumonait :
- Jean ! Viens qu'on s'barre, j'en ai marre de tous ces cons qui s'marrent ennous r'gardant !
- Pff.. Toujours aussi discret toi ! Je lui répondis d'un air faussement agacé.
- Aha ! Bien sûr, tu me connais !
Je me laissai entraîner dans la foule par Romain, me déplaçant rapidement sur mes hauts talons. La nuit tombait à peine, il devait être aux alentours de vingt heures, et nous courrions en direction de l'est de la ville, afin de rejoindre la cambrousse. Une fois passé le petit pont de pierre, nous enjambions le petit portail vert et pénétrions dans le parc. Le parc, c'était ce qu'on appelait « la cambrousse », petit bout de nature ayant résisté à l'urbanisation, que les habitants avaient oublié, happés par la vie bien trop débordante du citadin. Alors nous nous assîmes à même le sol, l'herbe fraîche chatouillant mes jambes nues, puis nous levâmes les yeux vers le ciel qui s'assombrissait encore. Quelques étoiles commençaient à percer la nuit, nous les observions, un sourire étirant nos lèvres. Je sentis alors la main de Romain frôler la mienne, ses longs doigts fins se mêler aux miens. Je serrai sa paume au creux de ma main et senti sa chaleur envahir mon corps peu à peu. Le rose colora mes joues lorsque son regard parcouru mon corps, tandis que le mien restait fixé sur la voie lactée. Je fermai alors les yeux, me sentant nu et ébranlé par son regard chocolat qui me parcourait avec douceur. Ses yeux exprimait force et chaleur, ils me racontaient à quel point il m'aimait et à quel point nous étions forts. Étonné par les sentiments incontrôlables qui me sciaient le ventre, je m'allongeai et posai ma tête sur ses genoux, tandis qu'il me caressait les cheveux. Tout dans son corps mimait la chaleur et la douceur, comme si tout son être me criait avec passion à que nous étions capables de lutter contre tous ces cons.
Alors ce soir là, au clair de la lune, je pris une décision. Je pris la décision de rester fort quoi qu'il advienne et de sourire encore aux cons jour après jour. Je fis la promesse de vivre sans jamais lâcher la paume de la main de Romain, que je serrai au creux de mon âme et de mon cœur.
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Quand le Sommeil se barre...
RandomTout un ramassis de mots récupérés ça et là. Quelques poèmes, ou des nouvelles, et de petites histoires. Deux ou trois bouffées d'espoir à inspirer à pleins poumons. Je vous invite à entrer dans mon monde, Quand il est tard dans la nuit et que le s...