LE PRINCE ET LA CHRÉTIENNE

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   DANS LA PEAU DU PRINCE

Le monde est un théâtre de coïncidences.

Nous vivons dans un univers qui, à travers une logique parfois subtil, tisse des liens invisibles entre les êtres et façonne les rencontres puis multiplie les croisements de chemins.

Chaque jour, nous marchons sans savoir ce que la vie nous réserve : des visages croisés au hasard peuvent devenir nos souvenirs les plus lumineux... ou les plus amers.

Et puis, lorsque l'on pense avoir tourné la page, laissé derrière soi ce qui nous a blessés ou construit, la vie, dans un geste presque calculé, nous rappelle à son pouvoir.

Elle nous prouve que rien ne lui échappe, que les chapitres qu'on croyait clos peuvent soudain se rouvrir et que ce monde, en apparence vaste, peut devenir étroit.

Elle nous confronte alors à cette vérité que nul ne maîtrise les détours du destin.

Les poings serrés sur le volant, je m'étais arrêté près d'un virage, à la lisière d'une route oubliée.

Le moteur ronronnait faiblement, mais dans mon esprit, tout grondait.

Mon regard fixait droit devant... sans rien voir.

Le monde avait perdu ses contours.

Je tentais désespérément de remettre de l'ordre dans mes pensées, mais il n'y avait plus d'ordre, seulement une tempête.

Je frappe violemment le volant, comme si cette violence pouvait s'enfuir par mes paumes. Mais elle restait là.

Elle collait à ma peau, à ma langue et à mes entrailles.

Je demeurais soudain dans une incompréhension totale. Où donc ai-je failli ?

J'avais pourtant mobilisé toutes les ressources à ma disposition pour atteindre la vérité.

Tout paraissait limpide ; comment, alors, cette donnée essentielle a-t-elle pu me glisser entre les doigts sans que je m'en aperçoive ?

C'était pourtant, en grande partie, la raison même qui m'avait conduit à me rapprocher d'elle.

Rien, cependant, ne laissait présager pareille lacune. Peut-être n'ai-je pas poussé mes investigations à leur terme ?

Elle a une sœur. Elle se nomme Esther.

Cette révélation fait naître en moi une bouffée de chaleur si vive qu'elle m'étouffe.

Sans attendre, je quitte le véhicule. La fraîcheur nocturne enveloppa aussitôt mon visage.

Je referme la portière et m'adosse à la carrosserie, l'esprit totalement troublé.

Ainsi, ce que je redoutais depuis l'origine se confirme. Si, au commencement, cette réponse constituait l'objet même de mes recherches les plus ardentes, l'apprendre aujourd'hui a le goût vénéneux d'un poison que j'eusse préféré ignorer.

Je peine encore à concevoir qu'elles soient liées ; pourtant, mes doutes, finalement, auront eu raison de moi.

Esther...

Je n'ai nul besoin d'en apprendre davantage pour comprendre qu'il s'agissait bien d'elle. Parce que je n'avais pas eu besoin de savoir qu'elle avait une soeur au début pour établir ce lien.

À présent que cette vérité m'est révélée, je n'ai plus besoin de la moindre confirmation supplémentaire.

Le seul fait qu'elles soient sœurs suffisait à éclairer tout le reste.