Pour les grandes supplications des eaux

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Je regarde Aaron, qui a déjà le regard planté sur moi, dans ses yeux je comprends que je ne suis pas le seul à avoir senti la pluie me toucher. À peine avons nous accélérés l'allure sous les rouspétations de notre gothique préférée et ses petites jambes, que le temps s'accélère. Au loin, un bruit gargouille dans les entrailles du ciel et soudain, la pluie éclate, s'avère être explosive et chute jusqu'au parapluie que tient une Rebecca pâlissante, parfait contraste du monde qui s'assombrit.

Aaron, tel l'archange protecteur des âmes peureuses, resserre son étreinte sous la pluie et protège de son corps et ses cheveux enflammés la petite Rebecca de ses souvenirs d'enfance funeste.

-Tu es sous un parapluie Reb, lui murmure Aaron qui espère la toucher en son âme et la faire revenir vers nous sans qu'elle ne se perde entre ces gouttes humides. Ça va aller...

La pluie ne cesse de s'intensifier, elle crache sur les Rangers de Rebecca comme pour se foutre de sa gueule et l'attirer à elle dans un chant dramatique. Elle dégouline aussi sur mon corps si grand, je remonte ma capuche contre mes oreilles et un frisson s'échappe de l'étreinte de mon corps.

-On est bientôt arrivé chez toi Reb, j'articule par dessus la mauvaise météo qui s'est élue temps du jour.

-Ce n'était pas prévu par la météo ça, répète parfois telle une éloge funèbre Rebecca.

Je fixe au loin, dans l'espoir de reconnaître sa rue, mais nous en sommes encore bien trop loin. C'est bizarre la manière dont le temps semble parfois se ralonger, nous coincer dans un présent que l'on ne se refuserait pas d'accélérer. Mais cette manière qu'ont parfois les heures de se camoufler en secondes ne m'étonne pas vraiment non plus, après tout, le temps est une création de l'Homme ? Pourquoi serait-il linéaire et non pas comme un élastique capable de se tendre, détendre, parfois même de se casser ?

Tandis que le ciel gronde et nous pisse dessus, que le monde est comme l'intérieur d'une cuvette sale et jaunie, j'entends la voix gémissante de Rebecca :

-Je déteste la pluie...

Nous avons beau accélérer, nous ne sommes jamais assez rapide, la rue dans laquelle vie Rebecca depuis ses dix ans est toujours invisible, plus que jamais loin. Je me demande alors si Myla habite dans l'éparage, tout près de Reb, et de moi par la même occasion... Je ne sais même pas pourquoi cette pensée s'invite, au travers du déluge qui s'abat, ici et maintenant, dans les catacombes de mon esprit.

Et soudain, je décide par une brillante idée venant de s'éveiller en moi, d'obliger Rebecca à penser à autre chose.

-Reb ?

Elle cesse de fixer la pluie, les pupilles ardoises paniquées, pour fixer mon visage trempé que je m'évertu à essorer sans jamais y arriver.

-Ad ? me répond-t-elle, la voix tremblant si fort que je crains qu'elle ne finisse par se briser dans les bras de son bien-aimé.

-Il y a quelque temps j'ai rencontré une fille troublante, je lâche d'un seul coup.

Aaron toujours dans sa marche rapide semble s'étonner, il dérape sur le goudron avant de se rattraper in extremis en se redressant maladroitement. Rebecca revient soudain vers nous sans pourtant pouvoir oublier la pluie, ses traits se plantent dans les miens et en continuant d'avancer rapidement elle observe la gravité dans laquelle ces mots ont peut-être été prononcés.

-C'est la première fois, je crois, que tu dis qu'une fille te trouble, me dit Aaron par dessus l'eau grouillante.

-Il y a un début à tout, je cris à la pluie qui me griffe et arrache mon visage.

-Qui est-ce ? m'interroge Rebecca en se blotissant un peu plus fort contre les bras de Aaron comme pour s'éloigner du froid et s'approcher de la chaleur naturelle de son copain.

Ça y est, nous marchons, courons plutôt dans la rue de Rebacca et nous sommes très bientôt arrivé.

-Une humaine, je crois bien.

Rebecca, trop occupée à affronter la pluie n'aperçoit pas la puissance de ce que je viens de dire, mais cela n'échappe aucunement à Aaron, qui tend l'oreille silencieusement.

Il fait pour une fois preuve de sagesse en n'émettant aucune remarque sur mes mots utilisés pour la décrire. C'est juste un nom qui la qualifie et pourtant qui change tout sur cette personne que Reb et Aaron viennent juste d'apprendre l'existence.

Humaine, oui elle l'est plus qu'elle ne pourra jamais le crier, elle l'est à un point tel qu'elle me fait parfois flipper avec toute cette humanité en main. Je l'ai rencontré et lui parle depuis peu, pourtant j'ai l'impression de la connaître depuis bien plus longtemps... Est-ce que ce serait encore un coup du temps et de son élasticité incorruptible ?

Rebecca qui écoute le hurlement que la pluie se déchire, s'étouffe et se noie à extérioriser, elle me demande :

-Quel est son prénom ?

Dans un souffle je réponds, comme si je voulais me débarrasser vite fait de ce prénom pour qu'il ne reste pas trop longtemps suspendu à mes lèvres, à rouler sur ma langue si nargeuse :

-Myla...

Rebecca plonge son regard d'enfant qui ne réfléchit plus que par cet instinct de survie puis sort de son sac ses clefs de maison, elle les rentre dans la serrure et une fois la porte ouverte, elle se précipite à l'intérieur comme si le Diable était à ses trousses.

Je referme la porte au moment où mon amie d'enfance s'exclaffe :

-Myla. C'est donc cette fille, la chose qui turlupinait ton cerveau depuis tout ce temps...

Sur ces mots, Reb tombe au sol comme la pluie dehors et s'évanouit avant même que quelqu'un ait pu la retenir dans sa chute paniquée.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant