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L'orphelinat Grisgold


    De nuit, l'orphelinat Grisgold paraissait effrayant. Sa longue structure de bois et ses tuyaux en bronze s'emmêlant de partout faisaient fuir les enfants. Et pourtant, bon nombre de jeunes enfants y logeaient, attendant impatiemment qu'on leur donne des parents. Le désir brûlant de nommer une femme par le doux surnom de « maman » faisait trépigner les petites filles et les petits garçons de l'orphelinat. Leur seule figure maternelle était Lady Zylpha Grisgold, la directrice. Une grande femme très fine, toujours vêtue d'une robe noire aux manches bouffantes et se tenant droite la tête haute. Ses cheveux noués en queue de cheval étaient aussi noirs que sa robe, ses yeux gris lui donnaient sans cesse un air mélancolique.

    Lady Grisgold était stricte avec les enfants, elle devait leur inculquer les bonnes manières. Qui voudrait d'eux sinon ? Elle leur enseignait l'histoire du Royaume de Luming Hilde, la conquête du Tétrarque Regor sur les quatre Etats qu'étaient devenu Asteropa, Calendor, Hirtas et Luming. Les petits étaient émerveillés, ils rêvaient eux aussi d'aventure et de gloire. Mais la gloire n'arrivait qu'à ceux possédant une bonne famille. De très rares fois, des couples fortunés visitaient l'orphelinat dans l'espoir de peut-être adopter un enfant. De très rares fois, un enfant trouvait une gentille famille et Lady Grisgold versait une larme le soir accentuant son air mélancolique. D'autres fois encore, les enfants grandissaient et devenaient assez forts et instruits pour voler de leurs propres ailes. Ils quittaient alors l'orphelinat et le soir, Lady Grisgold versait une larme de fierté.

    Cette nuit, alors que la pluie commençait à s'abattre, la directrice reçut une visite particulière. Un grand jeune homme brun aux cheveux trempés se tenait près de la grande porte. A la lueur de sa chandelle, elle observa les traits de son visage. Il affichait un sourire en coin, ses yeux noirs étaient emplis de gouttes de pluie l'empêchant de voir correctement.

« Ravi de vous revoir, Lady Grisgold.

- Elias... Murmura la directrice dans un soupir de surprise. »

    Sans plus attendre sous cette pluie battante, elle l'invita à entrer et à s'asseoir, lui apportant par la même occasion de quoi se sécher. Elias semblait assailli de mille souvenirs en observant tout ce qui se trouvait autour de lui. Les murs ornés de décorations étranges et de tableaux de maîtres, les meubles en bois lisses et le tapis de velours rouge. L'odeur âcre lui rappelait son enfance passée entre ses murs.

« C'est ici chez moi, dit-il d'une voix tout juste audible. »

    Lady Grisgold observa la paire de lunettes rondes en verre épais posées sur la tête d'Elias, des gouttes d'eau perlaient encore dessus.

« Tu es donc devenu ingénieur, déclare-t-elle en affichant un sourire en coin.

- J'ai réalisé mon rêve, rétorque joyeusement Elias en ajustant ses lunettes. Dommage que Jeremiah et Alfred n'ont pas réussi à me suivre.

- Ils n'étaient pas aussi appliqués que toi. »

    Une branche d'arbre vint frapper l'une des vitres de l'orphelinat, arrachant un sursaut au jeune ingénieur. Lady Grisgold ne retint pas son rire. Elias prit le temps de se ressaisir, puis ouvrit sa besace pour en tirer un bout de papier froissé.

« J'ai entendu dire que la structure de l'orphelinat tombait en ruine, déclara-t-il en donnant le papier à la directrice. Ce n'est qu'un début mais... J'ai dessiné un plan qui pourrait bien remettre en état le bâtiment.

- Tu n'aurais pas dû... rétorqua Lady Grisgold en observant les schémas du jeune homme. »

    Elias se releva et posa la serviette que lui avait donnée la directrice, il lui sourit amicalement.

« C'est pour le bien des enfants, dès lors que les plans seront terminés, je mettrais toute mon âme à la solidification de ces murs. Maintenant, pardonnez-moi pour ce court passage, mais j'ai promis d'aller rendre visite à Jeremiah et Alfred. »

    La directrice l'accompagna alors jusqu'à la porte, serrant contre elle le plan qu'il lui avait donné. La pluie s'écoulait violemment, Elias franchit tout de même le pas de la porte. Il salua de la main Lady Grisgold qui lui répondit par un sourire, elle l'observa ensuite s'éloigner.

    Il n'y avait pas de lune cette nuit-là, Elias heurta quelque chose qu'il n'avait pas eu le temps d'apercevoir. Il s'agissait d'un homme grand portant une cape et un masque de médecin de la peste noire. Il avait surgi de nulle part.

« Docteur, s'excusa Elias, pardonnez-moi vous devez être pressé. »

    Aucune réponse de la part du médecin, il fixait l'horizon et se refusait à bouger. Sa façon de respirer bruyamment s'apparentait au souffle d'une machine à vapeur. Elias tentait de le regarder malgré l'obscurité, mais il n'y voyait que très peu. Il décela une lueur argentée dans la main du médecin, ses yeux s'écarquillèrent alors et un cri manqua de s'échapper.

    Tout se déroula très vite, un coup de poignard en plein cœur, le sang qui se mit à jaillir de la poitrine et de la bouche. Elias se sentit faiblir. Il tituba et se laissa mourir contre le docteur qui le maintenait debout. Avant de s'éteindre, il écouta brièvement et avec étonnement le tic tac du cœur de son assassin.

L'assassin au cœur mécaniqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant