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La sensation de l'herbe qui s'écrase sous mes tennis blanches est agréable. Mes pas ne font plus le même bruit que sur le bitume. J'apprécie cette discrétion.J'avance sur ce passage que je connais par cœur. Ce soir, comme tous les jeudis soir après mon rendez-vous avec ma thérapeute, je mange au parc avec mes meilleurs amis et mon frère jumeau. Je les aperçois au loin qui jouent à se passer un ballon. J'avance d'un pas assuré,bien que mon lourd sac en bandoulière rempli de bouquins me fasse pencher du coté droit.

-Maddie attrape !

Un regard en l'air m'informe qu'un ballon lancé à pleine puissance arrive dans ma direction. Cependant, le danger vient de la droite. Et avant de m'en rendre compte, je me retrouve projetée sur le sol. Ma première pensée après le choc de m'être fait plaquer dans l'herbe est la couleur de mon tee shirt. Il doit être bon à jeter à la poubelle.Puis je regarde le visage hilare du coupable de ma chute. J'ai du mal à bouger à cause du poids de son corps d'un mètre quatre-vingt-cinq qui est affalé sur ma poitrine. Je prend le temps de dégager mon bras et je frappe mon meilleur ami de toutes mes forces sur l'épaule. Il frotte la zone cognée en grimaçant pour simuler la douleur et écrase sa bouche sur ma joue de hamster, y laissant un gros bisou baveux. Je grogne.

- Paul Davis je te déteste.

Il rigole, puis se remet debout. Quand il me tend sa main pour m'aider à me lever,j'hésite une demi seconde à bouder seule dans mon coin, puis je décide que j'ai été suffisamment grincheuse pour aujourd'hui. Sa force de sportif me porte littéralement et très vite, je suis sur mes pieds. Alana Powell, le soleil de ma vie, s'avance vers moi,lance un regard assassin à Paul et m'étreint rapidement.

- ça va ? Cet idiot ne t'a pas blessé ?

- Cet idiot, comme tu dis, viens d'éviter une interception de l'extraordinaire cornerback Maddie Stevens.

D'un mouvement totalement identique, Alie et moi levons les yeux au ciel. Le football américain, pour Paul, c'est une affaire très importante.C'est la motivation de toute sa vie. Depuis le jour où il a débarqué dans notre petite ville de l'Oregon, aux Etats-unis, l'entièreté de son programme tourne en orbite autour de ce sujet. Même sa carrure a été sculptée grâce au sport de ses rêves. Je le regarde avec attention. Aujourd'hui, il est rayonnant. Et ce n'est pas grâce au soleil qui vient de se coucher.

- Tu as l'air de bonne humeur dis moi ! May et toi vous êtes réconciliés ?

May est la petite amie de Paul depuis deux ans. Personne ne sait vraiment comment ils font pour que ça dure autant, parce qu'ils se disputent et rompent tous les trois mois environ. Moi, je pense qu'elle l'aime trop. Et trop d'amour amène de la jalousie, de la possessivité, et de l'étouffement. Paul aime sa liberté. Il aime pouvoir sortir avec l'équipe le samedi soir et s'amuser à séduire des filles juste pour être sûr qu'il plaît. Sur le plan moral, c'est assez douteux,mais je peux comprendre qu'il aime ça. Comme je peux comprendre que ça agace sa petite amie. D'ailleurs, au moment où je prononce son nom, Paul fait une petite grimace.

- Non, c'est toujours aussi chaotique. Mais j'ai reçu le dossier d'inscription pour Penn State University et ça me rend heureux !

Alana soupire. Tels que je les connais, il a dû lui parler pendant des heures de toutes les étapes qui allaient le mener à l'université, et elle en a fait une overdose. Elle n'aime pas écouter les gens parler. Je ne la comprend pas. J'aime bien quand on me raconte des histoires. Ça me change les idées.

- Où est Adam? Il n'était pas là il y a trente secondes ?

Le regard de mes amis fait le tour de l'horizon. Alie se met d'un coup à pointer un buisson à cinquante mètres derrière moi et pouffe. Un fessier moulé dans un short rouge dépasse des branches. Mon frère jumeau est à quatre pattes, les fesses en l'air, pour récupérer le ballon que Paul a lancé avant de m'écraser au sol. Et c'est moi qui voit une psychiatre.

Soixante NuitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant