Extrait 1 :
Aujourd'hui c'est jour de mariage et je sens que ça va être folklo. Je me suis acheté un costume chez Brice, un truc que je n'aurais jamais mis quand je bossais au cabinet et finalement je ne le trouve pas si mal. J'en ai pris un bleu foncé et Yann un gris clair. On a aussi pris les pompes, la chemise, la cravate, tout l'attirail, on a fait ça bien. Mélissa m'emmène en DS3, ma vieille Corsa n'est vraiment pas sortable pour l'occasion. Y'a un monde fou, le parking de l'église est blindé, ils ont vu les choses en grand. Je me suis assis entre Yann et Mélissa, j'ai failli m'endormir pendant la cérémonie. La petite Juliette est vachement mignonne dans sa robe blanche en dentelles avec son chignon impeccable. Son mec par contre je ne sais pas d'où elle le sort. Il est immense et tout maigre avec un costume noir, on dirait un croque-mort. Apparemment il est d'une bonne famille. Elle a tout compris la petite Juliette. Le curé a déballé son charabia et la marié a roulé une grosse pelle au croque-mort, ça a foutu un sacré malaise. Lulu a les larmes aux yeux au premier rang. Il sert la main de sa femme, il est fier de sa fille. On est assis côté pêcheurs, y'a toute la bande et la famille, les amies de Juliette qui pleurnichent, ses potes d'enfance et ses collègues. Côté croque-mort ça sent les aristos. Les costumes et les pompes ne viennent pas de chez Brice et je m'y connais. Dehors à la sortie de l'église on leur a balancé des grains de riz - j'ai jamais compris pourquoi d'ailleurs - et les mariés sont montés dans un Mercedes GLE bardé de fleurs et de rubans. On a tous suivi le convoi en klaxonnant comme des malades.
«Il fait quoi son mec à Juliette ? j'ai demandé à Mélissa.
- Il est dentiste».
Elle a tout compris la petite Juliette. Moi j'ai horreur des dentistes, surtout quand ils ont une tête de croque-mort. J'en voyais un dans mon ancienne vie. C'est le moins pire que j'avais trouvé et c'était aussi le plus cher. Cet enfoiré me faisait un mal de chien et à l'écouter fallait y venir tous les mois. On est rentré dans une grande propriété par une allée bordée de platanes immenses menant à une grosse bâtisse en pierres comme celles de mes anciens clients. La terrasse donne sur un parc arboré et une piscine entourée de statues et de petits buissons. Tout est prêt, les chapiteaux, les ballons, les buffets, les cocktails. Je m'attendais à un mariage de plouc, à une immersion de plus dans ce monde populaire que j'ai décidé d'intégrer. Je me suis foutu le doigt dans l'oeil ! C'est un sacré mariage, dans une sacrée baraque avec du sacré champagne ! Et ça grâce à la petite Juliette qu'a tout compris ! En tout cas on ne risque pas de se mélanger à la belle-famille, c'est le choc des cultures. Lulu n'arrête pas de pleurer. Je sais pas s'il est heureux ou s'il pense au prix que ça lui coûte. On a félicité la petite Juliette, on dirait qu'elle a gagné au Loto. Elle me dit que la baraque appartient aux parents du croque-mort. Elle a vraiment tout compris. La soirée a commencé par des discours hyper longs, j'ai failli m'endormir une deuxième fois. Mélissa a des étoiles dans les yeux, elle nous imagine à la place de la petite Juliette et du croque-mort. Y'a des célibataires qui cherchent à se caser, des gamins qui s'emmerdent et Lulu qui pleure. Moi j'ai attaqué le champagne je vais finir dans les buissons. Y'a un type qui n'arrête pas de me mater et ça me fout mal à l'aise. Je me suis enfilé un plateau de saumon, des petits fours et des crevettes arrosés par du Perrier Jouet. La petite Juliette a balancé un bouquet de fleurs dans un groupe de nanas hystériques, c'est la dernière que j'épouserais qui l'a chopé. Yann est venu me voir avec une coupe dans chaque main, je crois que les deux étaient pour lui et il m'a dit «Putain on s'en paye une tranche !». Il va finir dans les buissons. Lulu a arrêté de pleurer après quelques coupes de Perrier-Jouet, il danse comme au bal de Saint-Gilles. On va tous finir dans les buissons. La petite Juliette et le croque-mort ont disparu pendant une demie heure, je me suis dit qu'ils ne perdaient pas de temps. La terrasse est pleine de monde, l'orchestre est chaud bouillant et le champagne coule à flots. Le même type me fixe toujours et ça me dérange. La nana au bouquet de fleurs a réussi à pécho et Lulu est dans les buissons. Yann a roulé un joint d'herbe bien tassé qu'on a fumé à deux sur un banc près de la piscine avec une bouteille de Perrier-Jouet. Alors je me suis dit que putain on s'en paye une tranche ! Je vois des étoiles par milliers, les platanes immenses semblent chatouiller la Lune qui se reflète dans la piscine. Heureusement que le banc a un dossier sinon je serai tombé par terre. Je n'ai pas fumé depuis des années, ça m'a mis une sacrée baffe. Je suis collé au banc et je me sens minuscule dans l'univers intergalactique. Les aristos ont senti la beuh et ça leur plait moyen. J'ai demandé à Yann s'il connait le type qu'arrête pas de me regarder, il m'a dit que non et que l'herbe est sacrément bonne. Lulu aussi nous a senti de loin. Il s'est ramené en titubant jusqu'au banc, comme un naufragé s'échoue sur une plage. Il a tiré longtemps sur le joint, il a toussé très fort et il est reparti dans les buissons. Yann a fini la bouteille de Perrier-Jouet au goulot et a rejoint Emma sur la terrasse en se tenant des deux mains à la rampe. Je suis resté seul au bord de la piscine dans l'ombre de la fête. J'ai croisé à nouveau le regard du mec, un regard sombre et ça m'a fait peur. En fait ce type me dit quelque chose. Alors tout a commencé à se mélanger dans ma tête comme un bouillon de légumes. Je me suis dis et si il me connaissait ? J'ai les yeux rouges, les tempes qui tapent, la tête qui pèse de tonnes. Je suis devenu parano d'un coup, j'ai eu envie de me lever et de m'enfuir dans le parc. Mais je suis bourré, défoncé et je suis collé au banc. J'ai l'impression qu'il me regarde de plus en plus et qu'il se rapproche de moi. Je l'ai vu ce ramener au bord de la piscine avec un petit sourire satanique, passer derrière moi d'un pas nonchalant et déclarer calmement :
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Sortie de route
Non-FictionJe m'appelle Pierre, j'ai 22 ans et voici 7 extraits de mon premier roman. 140 pages sur un homme, Guillaume, 45 ans, dont la vie bascule. Une réussite totale, une femme, un fils, un job excellent, une vie de luxe. Mais de jours en jours son foyer s...