ÉTÉ 1984 A SOUTHAMPTON LAKE

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L'air de la malle a un goût de renfermé. Lorsqu'ils l'ouvrent, un nuage de poussière se soulève. Rapide et discret, il se disperse sur le plancher sale et gris du grenier. Odeur de cahier sec, d'été à cuire sous la chaleur de la pente. Les souvenirs sont lourds, très lourds à porter. Ils n'auraient pas du sortir du grenier.

Will, Cassandra et Steven en seront quitte pour une grosse frayeur.

La pente douce de l'été s'imprime dans les yeux des trois jeunes gens.

La nuit. Le chant des grillons sur la pelouse fraîche. Les pieds nus effleurent la rosée, se crispent dans l'agréable douceur. Will a fini par leur dire : « Faut redescendre, il est tard ». La lumière du soleil avait fini par décliner, avant de disparaître complètement de la lucarne du grenier. La trappe, l'échelle, les couloirs à l'étage, déserts depuis dix ans. 2579, West Side, Southampton Lake, est une maison victorienne en bois comme tant d'autres. Étalant son opulent et déraisonnable cliché de véranda, de fenêtre à guillotine, de bardage blanc cassé et d'allée menant à la rue sinueuse bordé de chênes assoupis. Will sait que la 2579 est abandonnée. Comme lui, Cassandra et Steven aime bien les endroits étranges, glauques, un peu sinistre. Will a entendu les autres, à l'école, dire qu'elle est hanté. Il a eu la trouille, alors il a attendu un peu.

Jusqu'à l'été. Juste avant que la maison ne soit racheté. Sa mère dit qu'une famille doit venir la semaine prochaine. Elle les a rencontré. Le père, comptable, doit travailler dans la même entreprise que celui de Will. La mère elle, reste à la maison. Elle aime bien la couture, comme celle de Will.

Et deux garçons. Un peu plus jeune et un peu vieux que lui. Ils n'ont rien dit.

La nuit. Le hululement d'un grand duc, tourné vers le jardin tout lisse. La tondeuse a été passé voilà quelques jours à peine, et le tapis vert dévoile ses secrets. A demi courbé, Will avance en tête de la cordée. Il a pris sa vieille lampe torche et son talkie walkie. Cassandra et Steven aussi. Steven, le plus petit de la bande, a pris un vieux plaid sur ses épaules. Cassandra s'est moqué de lui, il a tiré une langue encore toute bleue de sucreries. Faut pas qu'ils leur disent qu'il a peur, qu'il aime pas aller au fond du quartier, vers le bois. Mais dans le cahier que Will a lu, il semblait y avoir une chose très intéressante, là bas.

Cassandra grelotte. Elle a oublié son pull. Mais impossible de retourner chez elle. Ses parents sont partis trois jours, et sa sœur ne rentrera que tard dans la nuit. Un rendez-vous avec son petit ami. Le maquillage éclatant dont elle s'est badigeonné lui donne un petit air de Madonna. Cassandra aime bien Madonna, d'ailleurs, elle est en train d'user la bande de la cassette à force de l'écouter dans son baladeur.

Will s'arrête. Il faut traverser Hungton Lane. A pied, les trois enfants courent sans un bruit, et s'engouffre dans le petit sentier qui remonte derrière les maisons. La lune couvre leur forfait. La lampe torche ondule vivement.

La pente douce de l'été s'imprime dans les yeux des trois jeunes gens.

La forêt recèle bien des mystères. Des amours interdits, des crimes odieux, des souvenirs de familles et des quêtes secrètes dont aucun des trois enfants n'a idée. Ils ne sont pas là pour ça. Simplement le cahier leur a indiqué un endroit. Goût de chasse au trésor dans la douceur d'une nuit de juillet. Steven a peur, vraiment. Les arbres dessinent autour de lui des grimaces sinistres. Il ferme les yeux et tient la main de Cassandra. Elle est belle, si belle. Il ne peut pas lui dire, pas encore. Il est plus jeune qu'elle. Il ignore encore qu'elle pose ses yeux sur un autre. Il ignore qu'elle lui brisera le coeur. Qu'après cet été-là, ils se verront moins souvent. Ils ne sont encore que des gamins.

Les racines piègent les pieds de Will. Il trébuche, serre les dents pour ne pas pleurer. Il croit connaître l'endroit du cahier. Il y est déjà passé. Encore un peu de marche, à la faveur d'une trouée, pour aller vers la clairière où serpente un petit ruisseau. Le pont en bois où il donne du pain à manger aux canards, petit étang où il vient patiner l'hiver. Des patins qui ignorent encore la fraîcheur de la glace, coincés dans le garage, près de la voiture. Lui aussi ignore que les joies de l'enfance sont à leur apogée. Qu'après cet été-là, il faudra grandir, oublier les jeux avec Cassandra et Steven. Il ignore encore que Cassandra partira au printemps suivant, et que Steven finira par ne plus passer à la maison. Il ignore encore les tracas de l'année scolaire qui s'annonce déjà, même ici, même en pleines vacances. Tout ce qui intéresse Will se trouve à cent mètre de là. Et lorsqu'il aperçoit la clairière, il ne sait pas qu'il forge là un de ses plus beaux souvenirs.

La pente douce de l'été s'imprime dans les yeux des trois jeunes gens.

Ils n'oublieront pas la quête, ni l'odeur de l'herbe humide, ni celle de la poussière du 2579, West Side, Southampton Lake, ni le goût de la découverte auprès de l'étang. La boit n'a rien de précieux, et son contenu tout aussi banal est une déception immense. Vieux clichés d'un anniversaire, voiture en métal, bille et chewing-gum mâché sont stockés là depuis 1954. Ils ne comprennent pas, ils ne peuvent pas comprendre. Tout ce qu'ils voient, c'est la faiblesse du butin. William hésite, un court instant. Son cœur balance entre la mélancolie, qui déjà semble sur le point d'assiéger son esprit, et la joie du futur, dessinant en lui la promesse d'un lit chaud et d'une limonade sous la véranda en rentrant. Il ignore tout des enjeux de cette simple quête. Il ignore pourquoi il a fait le choix de la limonade.

Tout ce qui est sûr, c'est la pente douce de l'été s'imprime dans les yeux des trois jeunes gens. Et que cette nuit là est né en eux la douceur de la nostalgie. 

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⏰ Last updated: Feb 06, 2019 ⏰

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Eté 1984 à Southampton LakeWhere stories live. Discover now