Acte 1 : Capitulation en tribulation

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Mon maigre poignet devenait douloureux. M'en plaindre ne me venait pourtant pas à l'esprit. Signer mon roman à des fans capables de faire plusieurs bornes dans l'unique but d'obtenir un gribouillis maladroit me submergeait d'émotions aussi positives que lénifiantes. Le sourire euphorique, je flottais sur un petit nuage depuis que cette célèbre librairie parisienne m'avait invitée à participer à une séance de dédicace. Pour une autrice autoéditée, ce genre de reconnaissance représentait une étape encourageante vers le professionnalisme.

Un brin envieuse de leur succès plus affirmé, la présence de consœurs m'avait néanmoins rassurée sur le comportement à adopter face aux admirateurs : alors que j'assumais parfaitement la licence de ma plume dans l'obscurité de ma grotte, m'exposer de la sorte à des inconnus me troublait. Le bonheur et la fierté s'acoquinaient à l'incertitude de l'artiste, ce vertige me mettait à nu face à l'anonymat de leur regard empreint d'exigence. Plaire m'empourprait, l'euphorie se disputait avec l'embarras pour me colorer les joues de sang.

Bien que quelques jeunes femmes se soient précipitées vers moi dès l'ouverture de la boutique explicite, mon public s'était révélé plutôt masculin au fil de la matinée. Étonnement, le point de vue première personne de l'héroïne ne les avaient pas gênés dans la lecture de ses aventures sulfureuses. La plupart aimait simplement cette fantaisie libertine, soulignant mon style ou m'affirmant en termes plus ou moins châtiés que me lire les avaient émoustillés.

Certains confondaient néanmoins le personnage et son auteur. Or, ce n'était pas comme dans l'horeca, où les heures s'enchaînent avec le sourire de l'emploi et l'habitude de repousser les ivrognes entreprenants. Ici, je ne servais pas, je faisais plaisir à mes rares et précieux lecteurs. Accueillir gentiment leurs alléchantes propositions puis les refuser poliment devenait une subtile gymnastique de l'esprit sous des couches de minauderie. Le personnel de la librairie veillait toutefois à contenir les plus insistants.

Trois heures s'étaient écoulées en une fraction de seconde, la séance touchait déjà à sa fin

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Trois heures s'étaient écoulées en une fraction de seconde, la séance touchait déjà à sa fin. Épuisée, affamée, ravie, aussi vidée de ma substance que remplie par celles d'autrui, je commençai à fixer avec inquiétude la porte rouge de l'enseigne spécialisée. Mon cousin avait promis de venir me chercher et de m'emmener manger. En apprenant ma présence à Paris ce samedi, il m'avait invité à renouer nos liens distendus le temps d'un weekend. Son retard ne présageait rien de bon.

Le tintement d'un SMS me détourna soudain de la vaine contemplation de l'entrée. Mue par un mauvais pressentiment, je fouillais le foutoir de mon sac à la recherche du smartphone quand, me ramenant à l'immédiat, un fan déposa un exemplaire de mon roman devant moi dans l'attente d'un autographe.

« Bonjour, Lili, me salua-t-il d'une voix veloutée teintée d'appréhension.

— Bonjour ! m'enjouai-je à nouveau dans mon rôle en relevant précipitamment le nez. Comment t'appelles... »

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