1| 𝐋𝐞 𝐦𝐚𝐬𝐪𝐮𝐞

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S'il y a bien une chose pour laquelle ma mère, la reine Elena, excelle, c'est celui de forger un masque

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S'il y a bien une chose pour laquelle ma mère, la reine Elena, excelle, c'est celui de forger un masque. Son masque est presque parfait, malgré quelques fissures ici et là, mais aux yeux des inconnus, il est invisible. Personne ne pourrait croire ce qu'elle endure, ce qu'elle subit après toutes ces années, car il est toujours impeccable lors de rares évènements.

J'ai dû enfiler le mien pour la première fois à l'âge de huit ans. Lorsque la famille de Helinille est venue en visite pour le début d'une alliance, ma mère m'a fait promettre de ne rien exprimer, de me taire, d'enfouir tout ce que je ressens, et de tout jeter aux oubliettes. Je l'ai fait. Ce jour-là, j'ai enfilé un masque, sous une épaisse couche de froideur, je n'ai exprimé aucun sentiment sur mon visage, comme s'il avait été taillé dans du marbre. J'ai compris à quoi il servait lorsque Neel, le grand roi, a affirmé que les femmes ne devaient jamais se trahir par quelques sentiments au risque de perdre la vie.

Depuis ce jour, je le mets à chaque fois que je suis hors de ma chambre. Mais, même si ce masque n'est pas vieux, je sais qu'une énorme fissure le traverse. Cette fissure, c'est celle du jour où je suis partie de l'académie, le jour où je n'ai pas réussi à me débarrasser de ma haine, de ma colère, de ma tristesse et de mon désespoir. Tout cela est sortie en un hurlement à m'en déchirer les poumons. Mon masque est fissuré. Mais chaque jour, je tente de recoller les morceaux tant bien que mal.

Toute femme qui réside dans un palais à un masque, il est vital pour notre survie. Car, après-tout, ce qu'une femme sait faire de mieux, c'est de mentir pour mieux survivre.

Le jour de mon anniversaire n'y fait pas exception. J'ai beau être entourée de ma famille, que je considère encore comme des étrangers, je porte mon masque pour qu'il ne voit pas les larmes qui coulent à l'instant où l'énorme gâteau orné de vingt bougies trône sur la grande table.

La guerre s'est terminée il y a seulement six mois. Six mois que j'ai pu enfin retrouver ma fratrie. Je pensais que cela me comblerait, que je pourrais enfin passer outre ce chagrin qui me poursuit, mais en réalité, le fait qu'ils soient tous là ou non, m'importe peu.

Je souffle mes bougies avec un grand sourire, les remercie avant de passer aux milles cadeaux que je reçois chaque année. Tout n'est que babiole, sans importance à mes yeux, qui en vaudrait beaucoup plus à l'orphelinat du bois, là où Hunter a grandi.

Je compte déjà tout redonner à cet orphelinat, et à d'autre maisons démunis, simplement pour leur plaisir.

Bijoux de toutes sortes de pierres, rubis, saphir, diamant, sont à l'honneur, bien évidemment. Mais malgré toute ces brillances, la seule chose qui vaut réellement mon attention et mon questionnement est celui d'un carnet, aux pages blanches. Il est simple, en velours bleu roi, seule la petite pierre incrustée dans la couverture sert de décorations. Je me tourne vers Fraya, ma tante, qui me répond par un simple sourire – en description, « je t'expliquerai plus tard ».

Ezekiel, qui est arrivée il y a deux jours avec son père, s'approche de moi pour me mettre un écrin sous le nez. Lorsqu'il l'ouvre, je découvre une magnifique parure, sertie de perles blanches et de cristaux violets, la couleur de son royaume. Tout le monde autour de nous est abasourdi par ce cadeau exceptionnel, auquel je ne prête attention que pour faire bonne figure.

Mon fiancé, sort alors la parure de l'écrin pour me la passer autour du cou. Moi, j'apparente cela à une chaine, la même que l'on prend pour les chiens. Par-dessus cela, je lui souris, et le remercie en posant un délicat baiser sur sa joue, qui me donne tout de suite envie de vomir mes tripes sur la table.

La journée risque d'être longue.

J'implore ma mère du regard, mais elle fait comme si elle ne l'avait pas vu. Je reste donc là, à faire bonne figure, à me conduire comme la future reine que je serais.

Belle, souriante, bienveillante, et surtout, les paroles et les sentiments enfouis.

*

Encore une fois, je n'arrive pas à dormir. Le sommeil étant bien trop agité, je décide de descendre la bibliothèque, après être passé dans les cuisines, récupérer une bouteille d'un liquide ambrée. C'est la seule chose qui pourrait me permettre de dormir.

Je traverse les étagères de livres, sans vraiment chercher, juste pour le plaisir de passer mes doigts sur les reliures de vieux livres, qui étaient là, bien avant ma naissance.

Je tombe parfois, sur de vieux livres que je lisais lorsque j'étais enfant, de vieux comptes à faire peur pour que l'on soit sage. Des sorcières, des ogres, des fae... nos ancêtres, disparus depuis plusieurs générations, ainsi que toutes les créatures qui rendaient ce monde beau et magique. Aujourd'hui, nous ne sommes plus que de simples mortels. La seule similitude que nous ayons, sont les oreilles légèrement pointues, et une capacité à agir plus vite, plus fort. Je m'imagine encore pouvoir faire flamber des flammes dans mes paumes, ou faire pousser la verdure lorsque je touche le sol de mon pied nu. Ou encore, pouvoir contrôler l'esprit des gens, m'amuser à ma guise avec leur perception de la vie, des couleurs, et des lois.

Je me laisse choir sur un des fauteuils, ma bouteille à la main, scrutant la bibliothèque. Je me rappelle de chaque moment passé ici, dans une autre vie. Je scrute les alentours, avant d'être sûr de retirer mon masque, laissant ainsi, s'échapper les quelques larmes que je réserve pour ces rares moments de tranquillité.

Silencieusement, elle s'écrase sur le sol en marbre blanc, avant de disparaitre.

Une heure passe, deux, puis trois, avant que l'aube ne se pointe de nouveau. Je n'ai pas le courage d'endurer cette nouvelle journée, et encore moins la soirée qui s'annonce. Si mon masque à des failles devant ma famille, il devra être irréprochable durant le bal, organisé à mon honneur. Je déteste ce genre d'évènements.

Robe, coiffure, bijoux, maquillage, tout ce qu'il faut pour faire de moi la parfaite petite princesse de ce royaume. Encore des mensonges. Je suis la meilleure dans ce domaine.

Le soleil se lève lentement dans le ciel, me laissant encore un peu de répit avant de rejoindre ma chambre. Les dernières larmes roulent sur mes joues, avant que je ne cache ma bouteille derrière une pile de bouquins et de rejoindre ma chambre.

Le masque se fissure encore un peu aujourd'hui, mais j'ai bien plus peur pour ce soir, en revoyant Laurelin et Donovan pour la première fois en trois ans. Mes meilleurs amis, et ceux de Hunter. 

𝐊𝐢𝐧𝐠𝐝𝐨𝐦𝐬Où les histoires vivent. Découvrez maintenant