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-Alana-


Quand je gare ma voiture devant la maison, je suis déçue de voir que mes parents sont là. Je pensais pouvoir leur dissimuler ma gueule de bois pharamineuse. C'est peine perdue, visiblement. Je les aperçois tous les deux, ils me surveillent de la fenêtre du bureau de mon père. C'est au premier étage, ce qui leur donne un air de sentinelles, prêts à me fusiller au moindre faux mouvement. J'attrape mon sac à main qui est posé sur le siège passager, je réajuste mes lunettes de soleil sur mon nez, et je sors de l'habitacle. La température de l'extérieur est douce, pour un mois de Mai. La veste d'Adam me donne presque trop chaud. Ou alors c'est peut être simplement parce que les souvenirs de la nuit dernière me font un effet que je n'attendais pas. Mon téléphone vibre dans ma poche, je décide de l'ignorer. Je marche jusqu'à la porte d'entrée que j'ouvre.

- Bonjour ma chérie !

Je ferme mes yeux pendant que ma mère trottine vers moi pour m'étreindre. Elle ne relève pas l'odeur d'alcool qui émane de mes vêtements et elle commence une conversation. Sa voix résonne dans des parties de mon crâne que je ne connaissais même pas. Elle me demande comment s'est passée ma soirée. Je grommelle que j'ai faim.C'est vrai, je pourrais dévorer un éléphant. Et comme je suis en repos sportif cet après-midi, je peux me permettre de manger ce que je veux.

- Bien-sûr Alie, va poser tes affaires, je vais te préparer une assiette de spaghettis, ça te va ?

Je rentre à peine et elle m'étouffe déjà. Je la regarde à travers les verres teintés de mes lunettes et je secoue la tête.

- Non, j'ai envie d'un bol de céréales avec du lait.Je vais me le préparer. Remonte avec Papa, ça va aller. Fais lui un bisou pour moi.

Une ombre triste passe sur ses yeux bleus. Elle repousse ses longs cheveux bruns dans son dos et me sourit comme si mon rejet ne l'avait pas atteint. Elle sourit tout le temps. Je déteste ça. Mes relations avec ma mère ont toujours été compliquées. Quand j'étais petite,elle nous laissait pendant des semaines seuls à la maison avec mon père. Elle disait que c'était pour le travail, qu'elle avait des déplacements dans le pays entier. Elle ramenait toujours pleins de cadeaux quand elle revenait, c'était chouette, mais nous avions à peine le temps de créer des liens qu'elle était dans un nouvel avion pour New York ou Dallas. Elle est revenue définitivement à la maison le jour de mes seize ans. Mon père avait déjà subi tous les problèmes liés à ma crise d'adolescence, j'avais grandi comme ça,et peu importe tous les efforts de ma mère pour combler le vide qu'elle avait formé, je n'arrivais pas à m'attacher à elle selon ses souhaits. Il est donc devenu habituel qu'elle en fasse trop pour me toucher et que je l'ignore. C'est ma mère, je l'aime, mais c'est tout. Maddie pense que je fais ça pour prendre ma revanche. Elle a peut-être raison. Je quitte le hall d'entrée quand je me retrouve enfin seule et j'ouvre la porte qui mène à la pièce à vivre. Toutes les personnes qui entrent dans cet endroit le trouvent immense. C'est un peu plus grand que chez Logan, mais c'est parce que le salon, la salle à manger et la cuisine sont ouverts et reliés entre eux. Presque tout est blanc. La peinture, le sol en carrelage,et certains des bibelots décoratifs. Les quelques meubles sont gris anthracite. Simples, modernes, mais chaleureux. Le plafond est haut. Je crois qu'il est à deux Adam et demi du sol. C'est ce que Paul avait affirmé un jour où nous nous ennuyions à mesurer tout et n'importe quoi avec des parties de nos corps. Je suppose que c'est vrai. Quand j'arrive dans la cuisine, je contourne l'îlot central et je fouille dans le frigidaire à la recherche de lait. Tout est plus sombre à travers mes lunettes mais je refuse de les retirer tant que le monde entier sera aussi brillant qu'un soleil géant. Je ne boirais plus jamais d'alcool. Je vais le noter dans mon agenda, et ça deviendra mon mantra.


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