Chapitre XVI : L'éternel mélancolique (Partie 3)

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Un couple de bruit sourds successifs surgit. Je ne peux plus bouger, paralysé par une force supérieure. Elle danse toujours, imperturbable. Nos doigts liés se détachent, et elle s'éloigne, toujours en rythme. Hurlement. Mon cœur se déchire, mais il ne peut provenir de mon torse comprimé. Dans un effort surhumain, je parviens à tendre ma main dans sa direction à l'instant où elle disparaît et où la bataille s'impose de nouveau à mes sens.

Je tousse et crachote du sang. La carcasse qui me recouvre m'empêche de respirer convenablement. Je tâche de pivoter : maintenant que mon genou est dégagé, sur le ventre, je pourrai ramper et m'extirper de là. Mon bras gauche est engourdi. Les picotements m'empêchent pour le moment d'en disposer pleinement. Cependant, je parviens tout de même à quitter cette geôle. Libre de nouveau, je me laisse tomber au sol, me tourne sur le dos et prends le temps de respirer. Inspire. Je dois me ressaisir, penser à autre chose. Expire. Je couvre mon visage de mes mains souillées. Inspire. Je ne pourrais peut-être jamais rattraper cette erreur. Expire. Mon poing, rageur, frappe le sol. Inspire. Et tous ces mots, que j'ai en tête, qui les lui dira. Expire. Je serre les dents, je sais que si mes yeux n'étaient totalement asséchés, ils faibliraient de nouveau. Inspire. Tous ces mots que j'ai ressassés durant toutes ces nuits. Expire. Ces mots que je devais lui dire, ces excuses à présenter, ma réaction à éclaircir...

Sanglot. Je n'ai pas trouvé le temps, toujours à droite, à gauche, corvée nécessaire, travail, repos, aussi. Honte, surtout. Toujours à repousser. Par manque de temps, il faut bien l'admettre. Pas un instant. Il me fallait un bon moment, une manière d'aborder le sujet. Et le temps, toujours. Pour pouvoir tout dire, ne rien oublier. Rage. Quelle vie ! Trimer, du matin jusqu'au soir, du baptême à l'onction, jamais de relâche.

La bataille fait toujours rage. Je secoue la tête, me ressaisis. Oublie ça un instant, tu t'en tireras peut-être. Et alors tu pourras te rattraper. Je prends une grande inspiration, me redresse. Un genou d'abord. La prise d'appui est douloureuse, mais je tiens bon. Je lève mon autre jambe, pied en avant, fermement rivé au sol, rotule ployée, prêt à bondir. Mais je n'en ai pas la force, je prends appui de ma main et parvient enfin à me relever.

Au-moins le goût immonde qui inonde ma bouche achève de me ramener à la réalité. Pas de gourdin en main. Je dois trouver une arme. Je regarde partout autour. Quelle pagaille ! Des corps, partout. Ils ne sont pas arrivés là par hasard, il doit bien y avoir de quoi faire quelque part ! C'est avec une réticence certaine que je surmonte mon dégout et retourne les cadavres alentour jusqu'à tomber sur une courte lame. Une arme noble, avec ça, qui pourra m'arrêter ? Enorgueillit par le présage, je recouvre mes forces. Je soupèse un peu ma nouvelle amie, avant de m'élancer, pointe en avant.

Quand je me retrouve pris dans une valse mortelle, je réalise que je ne suis qu'un lourdaud. Cette arme a besoin d'un danseur. Je n'esquive la masse qu'avec un pas rapide à droite. Mon partenaire ne se laisse toutefois pas décontenancé et garde l'équilibre, essentiel. Pas en arrière. Maintenant, je peux prendre mon élan. Sans pirouette, j'avance, je touche.

La difficulté que j'ai à faire pénétrer mon épée dans ce corps hurlant me fait aisément comprendre que je m'y prends mal. J'insiste toutefois, je n'ai pas vraiment d'autre option. Mes tympans aussi, se mettent à crier. Puis, épuisé, il n'a comme plus la force d'exprimer sa douleur. Ses traits se figent en un masque démoniaque, et il s'écroule. Son visage s'imprime malgré moi dans mon esprit. Adieu, nuits paisibles. Si toutefois vous deviez apparaître un jour...

Je retire l'épée et réalise que la pointe n'est pas celle d'une lance. Je n'ai pas le temps de m'interroger qu'un chevalier me fait une belle démonstration de l'efficacité du tranchant. Soit. Je m'apprête à repartir quand un vrombissement retentit. Pas le nôtre, mais un cor allié. Je tente de comprendre mais renonce bien assez vite. Les autres continuent à se battre, faisons de même. Un soldat se dirige justement vers moi d'un air déterminé. Je m'apprête à charger quand je réalise qu'il est un ami.

Je me tourne, cherche, et trouve un adversaire. À l'instant où j'arrête ma décision, mon dos s'enflamme tandis que ma gorge se déchire. Précipité au sol, je sens mon omoplate frotter une pièce de métal. Elle se retire. La douleur refuse de l'imiter. Puis elle revient. Détruit tout. Je suis au bord de l'inconscience. J'essaie de respirer mais rien d'autre que la boue et le sang ne parvient à entrer. Des bras me sauvent de l'asphyxie et me retourne. Un voile recouvre déjà mes yeux, ma tête dodeline. Le requiem du couteau qui se tire, voici la seule chose que je peux encore percevoir.

Je repense une dernière fois à cette muse qui m'inspire. Puis, avec le goût cendreux de mes espoirs consumés dans la bouche, j'expire.

Bataille [Version "mobile"]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant