Chapitre Quinze: Le pari à deux crédits

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Elle était seule. Personne ne voulait lui parler. Elle attentait, assise au milieu d'une pièce vide. Elle attendait une parole. Un bruit. Un signe. Mais personne ne s'intéressait à elle.

Dehors, il faisait chaud. Le soleil, de sortie, noyait les prés sous lumière vivifiante. Le vent balayait les champs inondés de fleurs. Dehors, on entendait les oiseaux chanter et les enfants jouer. On entendait le bruit du bois qui craquait sous le poids des balançoires, le frémissement des poissons qui se débattaient dans l'eau ruisselante de la rivière. Elle aussi percevait ces sons attrayants. Mais elle était prisonnière du silence de cette immense maison peuplée de richesses froides et inanimées.

On lui avait ordonné de rester dans cette salle. On lui avait dit que le temps passerait vite, qu'elle se devait d'attendre, que son corps était encore trop fragile, que lorsqu'elle serait à la hauteur, les adultes lui feraient savoir. Mais pour une enfant de cinq ans, une minute s'approchait d'une éternité. Elle soupirait, chantonnait, culbutait et faisait des galipettes pour tenter de passer le temps. En vain.

Elle finit par coller son oreille contre le mur pour mieux percevoir les cris des autres enfants. Pour savoir qui, pourquoi et comment ils s'amusaient. Son frère s'était-il remis de leur dernière dispute? Sa blessure était-elle soignée ? Voilà bien deux jours qu'il ne lui avait pas adressé la parole, enfermé dans sa rancune. Finalement, la tentation fut trop forte. Elle se risqua à sortir. Quel bonheur que de sentir la nature sous ses pieds, d'apercevoir le ciel une fois de plus !

Elle se promenait dans les jardins du château aux toits pointus, déambulait entre les chemins sinueux, sur le pont de bois au-dessus des bassins et sous les tirapliers qui commençaient à perdre leurs feuilles. Un groupe d'oiseaux effarouchés s'envolèrent à sa vue. Comme elle était curieuse, elle se mit bientôt à observer les petites créatures de la nature et les animaux qui vivaient parmi le jardin. Elle n'était plus seule. Elle était heureuse.

Soudain, un éclat de rire retentit. Il provenait d'au-delà du mur. Au-delà de la barrière qui coupait le palais du reste du monde. Il y avait quelqu'un qui riait. Ya fut si intriguée qu'elle désobéit pour la seconde fois et s'empara de caisses de bois pour former un escalier, ce qui lui permit t'atteindre le sommet du mur. Elle observa discrètement les alentours.

— Bravo ! Presque au milieu !

Son frère était à l'extérieur du château. Lui aussi avait désobéi. Plusieurs enfants du village proche s'amusaient avec le petit noble. Six garnements essayaient de tirer à l'arc sous les conseils d'un garçon plus âgé. Ce dernier semblait capable de faire dévier les flèches pour éviter qu'elles ne ratent leur cible – ou presque.

— T'as triché ! Il m'a fait rater !

Ils frappaient dans leurs mains pour se féliciter les uns les autres, pour se donner du courage dans ce qui semblait être un tournoi improvisé. U maîtrisait suffisamment cette discipline pour vaincre chacun de ses amis, mais à la dernière flèche refusa de se planter, comme par magie.

— Mais arrête, rends là moi !

Le prince, furieux, jeta son arc et se rua vers l'adolescent. Bagarre générale. On tirait les cheveux. Frappait du pied. Frappait du poing.

La petite fille se laissa glisser de l'autre côté du mur, brûlant d'envie de les rejoindre. À sa vue, U fit la moue. Pas elle... Pas encore ! Elle était la risée du village et il savait ô combien les enfants pouvaient se montrer mesquin envers ceux qui étaient différents.

PANDORA-IV [Les enfants de Kirisben]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant