Jour 19 (suite)

436 21 0
                                    

Nous sommes restés tous les trois debout. Je ne sais pas pourquoi. Sans doute parce que l'instant était grave. Moi, j'avais la tête qui tournait. Comme si j'étais ailleurs, comme si ce n'était pas réel, comme si je n'étais pas là. Pourtant, il fallait faire face.

— Je...

Sébastien me fixait droit dans les yeux. Difficile de dire quoi que ce soit en voyant une certaine crainte dans son regard, par rapport à ce que j'allais avouer.

— C'est de ma faute, désolé.

Nos regards se sont tournés vers Steven.

— Oui, Sébastien, je suis homo. J'aime les hommes. J'ai craqué sur Mathieu dès le premier soir où tu l'as présenté à l'équipe. Je l'ai fait venir chez moi pour des séances de musculation en espérant qu'il se passe quelque chose, mais il n'y a rien eu. Et puis là, je ne sais pas ce qui m'a pris. Au moment ultime, au sommet de l'excitation, je l'ai embrassé, j'en avais tellement envie.


Sébastien s'est avancé. Il m'a pris par le bras, pour m'éloigner de Steven et pour me mettre de son côté. Le deux contre un s'est renversé. Je ne savais plus quoi dire. La situation m'a totalement échappé. Sans doute que j'aurais dû avoir le courage de dire toute la vérité, de défendre Steven, de ne pas le laisser seul à se débattre.

— Je n'en reviens pas. Ça fait combien de temps qu'on est ensemble dans l'équipe ? Au moins trois ans ! Je n'ai jamais rien vu, je n'ai jamais rien soupçonné. Tu es homo depuis tout ce temps ?

Drôle de question, mais on va pardonner à un si bel hétéro.

— Bien sûr, Sébastien. Je ne voulais pas que ça se sache, parce qu'on ne connaît jamais les réactions des autres. Et puis, personne ne m'a posé de questions, jamais personne ne m'a demandé si j'avais une petite amie ou non !

— Ça ne me serait pas venu à l'esprit, tu es tellement... hétéro !

— Tu n'es pas trop déçu ?

— Je suis un peu sous le choc. Mathieu, tu étais au courant ?

— Il me l'a dit, oui. J'ai surpris chez lui une réaction qui n'est pas normale, chez un hétéro, en présence d'un autre garçon.

— Ça ne t'a pas dérangé ?

— Non, pour moi ça ne change rien.

Steven s'est alors tourné vers moi. À ce moment, il était tellement mignon. Il s'était transformé en prince charmant venant à mon secours. J'avais envie de lui sauter au cou pour l'embrasser. Peut-être que j'aurais dû le faire...

— Mathieu, je te présente mes excuses. Je n'aurais pas dû agir de la sorte.

— Je ne sais pas trop, c'est pas grave. On va mettre ça sur le compte de l'excitation.

— On se casse d'ici.

Une fois de plus, Sébastien m'a pris par le bras et nous avons quitté l'appartement. J'ai jeté un dernier regard à Steven. Je ne voulais pas le laisser seul. Je ne voulais pas partir comme ça. Mon cœur s'est brisé. J'aurais pu pleurer, mais ce n'était pas vraiment le moment. Il m'a décoché un joli sourire qui disait : « Ne t'inquiète pas », il m'a fait fondre.


Avec Sébastien, nous sommes allés au parc, en pleine nuit. Il était fermé, mais ce n'est pas ce qui arrête les jeunes. Il suffit de sauter par-dessus la grille. Beaucoup le font, en général pas simplement pour se promener, plutôt pour profiter de la douceur du soir avec une cigarette du bonheur, en toute discrétion.

— Je n'en reviens pas.

— Ce n'est pas si grave.

— Ah bon ? Un mec te saute dessus, te roule une pelle et toi tu ne trouves pas ça si grave ?

— Nous avons beaucoup bu ce soir. On était entre mecs en train de se faire du bien. Au moment fatidique, il s'est laissé emporter. Il n'a pas réfléchi.

— Tu lui pardonnes ?

— Il ne m'a pas violé non plus !

Il était hors de question que je sois entièrement du côté de Sébastien dans cette histoire. Je voulais quand même défendre Steven et apaiser les tensions.

— Tu as aimé ?

— Quoi ?

— Est-ce que tu as aimé son baiser ? C'est une question simple.

— C'était rapide, soudain, je n'ai pas réalisé ce qui se passait et je dois bien dire que je suis complètement bourré avec toutes les bières qu'on s'est enfilés. Je n'ai rien senti.

— À ta place j'aurais été furieux, je lui aurais mis mon poing dans la gueule.

— Il nous a invité chez lui, il nous a ouvert ses portes, on a été bien reçus. Je ne crois pas que ça se fasse de frapper ceux qui nous invitent.

— Quand même. Toutes ces années on a partagé un vestiaire. Je me suis montré nu devant lui. Je suis devenu pote avec lui. Je suis même allé jusqu'à...

— Ça change quoi ?

— Ça change tout !

— Moi je ne trouve pas.

— Tu ne le connais pas depuis assez longtemps ! Cette fois j'ai besoin de rester seul. C'en est trop, il faut que je fasse le point.

Il a accéléré le pas et a rapidement disparu au détour d'une allée. Je savais bien que je ne devais pas le suivre ou tenter de le rattraper.


Le journal de Mathieu (3)Where stories live. Discover now