Chapitre 3

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Les jours suivants, Athénaïs fut prise par la frénésie d'écrire. Enfermée chez elle, elle noircissait feuille sur feuille sans pouvoir s'arrêter.

Si cette relation avait été inutile de bout en bout, peut-être pourrait-elle la transformer en chanson, la sublimer en un texte qui, à défaut d'effacer le passé, renverserait toute cette négativité qui la guettait dès qu'elle pensait à lui ou croisait des couples sur son chemin.

Ses sentiments pour Thibault et son désir de se marier avaient été sincères, mais étrangement, maintenant que c'était terminé, elle ne ressentait pas cette peine immense à laquelle elle croyait devoir avoir à faire face. Au contraire : elle se murait dans un silence presque indifférent et se plongeait à corps perdu dans le travail. Elle était sidérée, sûrement. Elle ne savait pas vraiment.

Pauline et Marguerite s'inquiétaient pour elle et le lui faisaient savoir par le biais d'innombrables messages et appels. Marguerite s'était proposée pour crever les pneus du traître mais Athénaïs déclina son offre. A quoi bon ?

« Tu es une vraie sainte, Athé' ! avait fulminé Marguerite. Franchement, si j'avais été toi, je lui aurais mis mon poing dans la figure ! Et à sa Julie aussi ! »

Elle ne croyait pas une seule seconde au fait que Julie n'eût pas été au courant.

« Nan, mais la go ! Vous côtoyez à peu près les mêmes personnes, impossible qu'elle ne l'ait pas su ! »

Et elle avait cassé son verre reposé trop fort sur la table du café où elles s'étaient donné rendez-vous toutes les trois. De son côté, Pauline s'était employée à chercher les mots justes afin de ne pas accabler plus son amie.

Face à son logiciel de partitions, Athénaïs écrivait une ligne de batterie. L'écran de son téléphone s'éclaira. Marguerite. Ses amies faisaient vraiment leur possible pour lui faire oublier ce fiasco.

« Soirée au H*** ce soir. Dress code : shagasse. »

Et elles voulaient aussi l'encourager à passer à autre chose et le remède le plus efficace à l'amour était l'amour lui-même. Huit mois passés avec quelqu'un étaient, d'après elles, étaient encore trop peu pour s'interdire de se faire plaisir dès la rupture consommée.

Athénaïs n'avait pas osé dire qu'elle avait fait vœu de chasteté jusqu'au mariage. Elle ne broncha donc pas mais s'était convaincue qu'elle ne toucherait à rien, ni personne.

Les gars du crew seraient aussi là, lui annonça Marguerite, mais ce n'était pas un problème : il y aurait toujours un moyen de s'éclipser discrètement.

Athénaïs hésita un long moment avant d'accepter. Rester chez soi était si confortable, elle ne se sentait pas du tout d'humeur à draguer. Cependant, l'idée de danser et se vider la tête était alléchante. Elle se demanda alors comment elle pouvait s'habiller comme pour jouer le jeu sans attirer les remarques de ses collègues.

Après un bref message à Marguerite, elle se dirigea vers sa penderie. Elle avait cette robe asymétrique imprimée de motifs animaliers qui se rapportait plutôt bien au thème « shagasse » imposé par son amie. Si elle portait une veste par-dessus, peut-être que ses amis de la gent masculine oublieraient de la taquiner.

Athénaïs n'aimait pas beaucoup provoquer les regards concupiscents sur elle. Il fut un temps, elle raffolait de ces yeux empreints de convoitise. Mais plusieurs discussions à ce sujet avec un Thibault jaloux, qui avait pointé le paradoxe de ne pas coucher et de quand même vouloir attiser l'envie de ces messieurs, lui avaient radicalement fait changer d'avis. Elle avait alors gardé le goût des jolies choses mais elle avait abandonné son air mutin et ses tics de séductrice en herbe.

Elle enfilerait cette robe bustier ; en contrepartie, elle resterait discrète dans ses manières. En ce qui concernait la partie dancefloor, elle ne répondrait de rien, en revanche. Elle danserait comme elle le voudrait. Il lui faudrait simplement rester avec le groupe.

*

La soirée battait son plein. Pas loin du bar avec ses amis, Ken balayait les environs du regard, un peu inquiet. Depuis un moment déjà, les filles s'étaient éloignées entre elles. Il se demandait ce qu'Athénaïs pouvait bien être en train de faire. Possiblement en train de se faire aborder par un de ces farfelus en veste noire songea-t-il, serrant la mâchoire.

N'empêche, la concurrence était rude, ce soir. Ils n'étaient pas sortis n'importe où.

Une jeune femme qui arrivait face à lui le reconnut et entreprit de le harponner. Après une évaluation rapide de son physique, Ken se laissa faire. Mikaël, Mohamed, Idriss et Hakim saisirent le message et prirent un peu leurs distances.

Il sut quelques secondes plus tard qu'elle se prénommait Kelly. Brune aux reflets roux, elle était dotée d'attributs plus qu'avantageux qui servaient très bien sa profession de mannequin pour lingerie. Elle s'était installée à Paris de manière temporaire, expliqua-t-elle d'un adorable accent slave. Le bleu hypnotique de ses yeux qui lui jetaient des oeillades appuyées et son rire à ses blagues étaient tout à fait charmants.

C'était une très belle femme. Néanmoins, une partie de lui le retenait de tomber entièrement dans son jeu. Pendant qu'elle lui parlait de ses voyages aux quatre coins du monde, Ken continuait d'observer la foule de manière faussement détachée. Où pouvait-elle bien être ? « Dépêche-toi de te montrer ou je pars avec elle. » la menaça-t-il intérieurement.

Le Ciel sembla avoir perçu une prière derrière l'agressivité de cette réflexion car Athénaïs apparut non loin de lui, en compagnie de Marguerite et Pauline. Comme d'habitude, elles se lâchaient sur la piste de danse, Athénaïs plus que ses amies. Il adorait la regarder se mouvoir au gré de la mélodie. Plusieurs fois, Mikaël ou Mohamed s'étaient moqués de lui alors qu'il la contemplait sans vergogne quand elle remuait son corps lors de leurs soirées. Il sourit sans réellement sans rendre compte. Il ne pouvait pas s'empêcher de n'être qu'un homme, après tout.

Ses yeux furent attirés par un mouvement. Kelly s'était postée face à lui. Son regard bleu se planta dans le sien. Le sourire du jeune homme s'étira en un coin. Il aimait les femmes entreprenantes et celle-là avait l'air de savoir ce qu'elle voulait. Il se mordilla la lèvre par jeu, ce qui capta le regard de la jeune femme qui lui lança un coup d'oeil incendiaire en contre-plongée. Leur bataille de regards dura quelques secondes. Ken se sentit peu à peu happé par la mer qu'il reconnaissait dans les prunelles de la mannequin aux allures de sirène devant lui. Son esprit abandonna un moment Athénaïs, se laissant gagner par la sensation agréable d'être enfin désiré. Peu après, allumé et vaincu, il fondit sur elle et déposa un baiser sur les lèvres rouges de la mannequin qui ne tarda pas à répondre plus franchement. Ce geste finit d'enflammer le jeune homme. Il s'imagina un instant embrasser une autre femme pour laquelle il craquait tout autant ; mais quand il s'écarta, la peau blanche et les yeux océan de sa partenaire lui firent regagner la réalité.

Celle qu'il voulait était un peu plus loin, en train de s'amuser sans lui accorder son attention un seul instant. Cependant, la seconde suivante fit une entorse à la règle : Athénaïs croisa ses yeux. Elle lui décocha un sourire enjoué. Il devina un rire derrière ses lèvres retroussées en coin et son regard taquin. Il pouvait presque entendre son ton blasé : « Vous êtes vraiment des queutards. ». Si elle était seulement consciente que c'était elle qu'il voulait voir gémir dans son lit.

Il se força à se détacher de la vision de son amie dans sa sauvage robe bustier pour éviter de froisser Kelly qui le fixait d'un air coquin. Elle s'avança vers son visage et lui cria à l'oreille pour couvrir le bruit environnant :

« Ca te dirait qu'on aille ailleurs ? »

Ken hocha la tête. Il savait qu'Athénaïs s'en fichait de toute façon. Cette pensée lui donna un petit coup au coeur mais cela ne dura pas : Kelly lui prit la main pour l'entraîner hors de la salle et hors de ses idées déprimantes.

" Non. "Où les histoires vivent. Découvrez maintenant