cœurs sanglants | yoonmin

𝖈𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 𝖘𝖎𝖝

Il pleut.

Cela fait une semaine que la pluie ne s'est pas arrêtée, une semaine que le soleil n'a pas brillé, une semaine que les nuages restent agglomérés dans le ciel. Les caniveaux sont inondés, le sol ne sèche pas, les flaques sur le bitume continuent de s'accumuler, et les rues sont vides.

Jimin est assis à même le sol. Il se rappelle parfaitement de sa fugue deux semaines auparavant, mais il n'a malheureusement pas revu Yoongi depuis, étant donné qu'il n'a pas mis un pied dehors depuis quatorze jours. 

Pourquoi n'arrive-t-il pas à l'oublier ? Il doit sûrement avoir une femme parfaite, des enfants, une famille qui l'aime, vu son appartement et ses traits harmonieux. Le brun doit le laisser dans son bonheur, il ne doit pas interférer dans sa vie, c'est égoïste ; même si ce n'est pas l'envie qui manquait. Il faut toutefois se rendre à l'évidence : Yoongi a été une bulle de bonheur l'espace d'une soirée, et c'est terminé, à présent.

Ses genoux remontés contre sa poitrine, ses bras les entourant, il a atterri dans une petite aire pour enfants, abîmée par le temps, après avoir marché pendant un long moment. Les larmes aux yeux, il a erré dans l'endroit, touchant du bout des doigts le bois qui s'effrite à cause du trop plein d'eau, et s'est laissé glissé le long d'un poteau, en-dessous d'une sorte de grotte en plastique pour se protéger de la pluie.

Il s'est de nouveau enfui, mais a cette fois-ci pensé à prendre un sac-à-dos. C'est un sac qu'il a fait en cas d'ultime recours, lorsque la situation s'est dégradée à tel point qu'il ne pouvait plus rester chez lui. Il contient des vêtements, de la nourriture, de l'eau, et ses maigres économies. Le cœur au bord des lèvres, Jimin résiste malgré tout à la tentation de se laisser aller, et ravale sans cesse ses perles salées. 

Il aurait aimé que sa situation familiale s'arrange, qu'il reste avec eux et qu'ils soient heureux. Mais cela ne reflète pas la réalité : le plus jeune en avait eu assez de la violence quotidienne, ce qui explique son départ.

Le parc est complètement vide. Les seules personnes qui s'y promènent sont rentrées chez elles se mettre à l'abri et se sécher pour ne pas tomber malade. 

Jimin n'a plus de chez lui, désormais. Pas question de retourner dans la maison de ses géniteurs, plutôt mourir que d'y remettre un seul pied.

Où va-t-il vivre, désormais ? Il n'a plus de maison, pas d'amis ni de famille proche en dehors de ses parents, et ne peut pas avoir un boulot à cause de son manque de diplôme et de son âge. Non, le brun est coincé. Il n'a nulle part où aller, et est sûrement condamné à errer dans les rues pour le reste de sa vie pathétique. 

Sa respiration rate un battement lorsqu'il se rend compte que sa vie est fichue. Il n'a pas d'avenir. Que va-t-il devenir ? Il est tout seul.

Jimin a toujours été tout seul. Jusque là, cela ne lui avait jamais posé problème, mais là, alors qu'il est dehors sous la pluie... sa solitude pèse sur ses épaules comme un poids lourd. Il suffoque presque, ses mains tremblent et il a enfouit son visage dans ses genoux. Il fixe le sol d'un œil larmoyant, se demandant sans cesse s'il a pris la bonne décision de quitter le domicile familial alors qu'il est encore mineur. 

Mineur et analphabète.

Il s'agit de son plus gros problème : ses parents ne l'ont jamais scolarisé. Il peine à déchiffrer les mots, et encore plus à écrire. Seul, il tente désespérément d'apprendre, mais il n'est jamais certain de l'orthographe des mots, de la conjugaison des verbes... n'ayant pas internet ni de téléphone, performant s'entend et pas la vieille machine à touches qui ne lui sert plus à rien, il ne pouvait qu'aller à la bibliothèque, et que lorsque son père avait pris une violente cuite ou était de bonne humeur. Alors il faisait de son mieux pour mémoriser le maximum de mots et s'entraîner à les réutiliser.

Et lorsqu'il allait à la bibliothèque, il avait honte d'aller dans le rayon pour enfant, pour prendre des livres scolaires du niveau primaire pour apprendre ce que les élèves avaient la chance d'apprendre à l'école. Les gens peuvent se montrer vraiment méchants sans vraiment s'en rendre compte. Leurs regards... ils sont humiliants.

Jimin passait ses journées à faire le ménage, les courses, à s'occuper des loques qui lui servaient de géniteurs. Dans le quartier, personne n'est au courant qu'il s'agit leur fils, tous pensent qu'il n'est qu'un garçon au pair. En fait, personne ne se préoccupe de lui. Ils se fichent tous de son sort. 

Il n'est pas quelqu'un d'important, après tout. Il est juste... lui. Un pauvre adolescent paumé qui est tombé dans la mauvaise famille et qui n'a aucun moyen pour s'en sortir.

Il devrait se montrer fort, pendant les mois qui suivraient. Ils allaient être terriblement durs.

La pluie continue de tomber, de plus en plus fort, en parallèle aux larmes de Jimin. Finalement, il n'a pas pu les garder en lui plus longtemps, il doit extérioriser pour ne pas devenir fou. Son corps entier est douloureux. Son visage est dans un état horrible, ses côtes lui font mal lorsqu'il respire, et ses mains sont glacées. Bien qu'il ait pris son sac, Jimin est sorti sans veste. Et il se retrouve une nouvelle fois en t-shirt, sous une température qui frôle le négatif.

Alors qu'il tente de reprendre une respiration normale à cause de sa crise de panique, une silhouette se découpe sous la pluie, armée d'un parapluie. Grande et élancée, la personne s'abaisse à son niveau, devant l'entrée de la grotte en plastique où perlent des gouttes d'eau. Recroquevillé sur lui-même, le plus jeune relève ses yeux brillants et embués de larmes, sa respiration reprenant un cours normal tandis que ses prunelles rencontrent celles de son sauveur.

— Comme on se retrouve, Jiminie.