Un bouton de chemise

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Contrainte ; ça doit parler d'une boîte, deux semaines pour le rendre.

   Souvent, les enfants ont tendance à collectionner toutes les petites choses qui leur passent sous la main, et qui font leur bonheur. Un galet lisse trouvé sur le rivage, un bout de savon à l'arôme envoûtant, un bout de velours râpeux,une mèche rousse ou encore un bouton de chemise rassemblés dans une même boîte, formant un ensemble d'objets hétéroclites et pourtant indéfectibles les uns des autres, qui racontent tous leur histoire de façon muette, dans une cacophonie silencieuse des plus délectables. Souvent, les gens perdent cette habitude en grandissant, mais ils forment sans le vouloir dans leur maison un paysage entier composé des choses qu'ils aiment, sans le vouloir, et pour un œil observateur, ils délivrent les moindres recoins de leur vies rien qu'en agençant leur appartement. Ce sont ces qualités qui font un détective hors pairs, mais aussi des criminels intouchables lorsqu'ils choisissent le camp adverse.

C'est ce qu'était Maurice Pudot. Un tueur remarquable, qui ne se faisait jamais attraper par son art de ne rien déranger de la boîte à souvenirs que composait l'appartement de ses victimes. Parfois, d'avantage par esprit de jeu que par bonté, il laissait un indice. Il dérangeait une chose, pour que les plus fins observateurs puissent remonter jusqu'à lui. Mais jamais personne ne le retrouve. A croire que tous les fonctionnaires de la police étaient des incapables.

Aux yeux de tous, Maurice était quelqu'un de banal à mourir. Des cheveux d'un brun terne, un travail de comptabilité répétitif et abrutissant, une personnalité placide et une tenue irréprochable. Seul chose qui trahit son intelligence hors normes ; son regard, brillant d'intelligence, qui passe à la façon d'un scanner sur les gens, afin de déterminer leurs nature profonde. Mais les gens sont trop occupés à leur petite vie pour le voir, pour prendre la peine de détailler leur collègue.            Le jeune homme se réveilla de bonnehumeur, ce matin là. On était vendredi, et le lendemain, il allait pouvoir s'adonner à ses pulsions meurtrières. Il se prépara, et partît de bonne heure au travail, pour arriver à l'heure de pointe.Il laissa promener un regard intéressé sur les passagers à sescôtés ; qui mourrait, le soir même ? Cet homme à la chevelure dégarnie ? Ou bien cette femme aux talons hauts ? Ou encore ce jeune homme au visage couvert d'acné ? Il porta son choix sur l'homme à la chevelure dégarnie ; il avait déjà tué une femme, la semaine précédente, et il aimait varier le type de personne qu'il assassinait. Cela rendait la chose plus intéressante. Il ne comprenait pas les tueurs en série qui avaient toujours la même méthode de fonctionnement. Il adorait changer. Tant de possibilités s'offraient à lui, il n'allait pas les gâcher, tout de même ! Il analysa brièvement sa prochaine victime ; un peu corpulent,il était célibataire, et travaillait dans le bâtiment. Il avait une sœur aînée, et il avait perdu un membre de sa famille récemment. Lequel ? Réfléchis, Maurice. Oui... Il avait perdu sa mère. Maurice eut un rictus. Grâce à sa générosité, il irait la rejoindre de suite. Il sourit plus largement, et il bouscula légèrement sa future victime, juste le temps de glisser dans sapocher un traqueur G.P.S., puis il sortit d'un pas guilleret, en direction de son travail. Il allait avoir une soirée bien remplie.Au travail, il accomplit son travail avec efficacité, ne faisant ni plus ni moins que ce qu'il lui était demandé, puis il partit à l'heure pile, et s'engouffra à nouveau dans le métro. Il jeta un rapide coup d'oeil à l'écran de son traqueur, et vit que l'homme corpulentétait déjà rentré chez lui. Il habitait apparemment dans unquartier populaire... Maurice rentra tout d'abord chez lui pour posersa mallette, et pour troquer son costume-cravate contre une chemise impeccablement repassée et un pardessus foncé, et mettre ses basquettes à la semelle lisse qui ne laissait aucune indication sur lui. Il se peigna avec soin, et se brossa plusieurs fois les dents afin d'être sûr que sa victime n'ait pas une odeur trop désagréableen nez avant de mourir. L'haleine fétide du meurtrier, très peu pour lui. Il était quelqu'un de soigneux ; on fait les choses bien, ou on ne les fait pas. C'était d'ailleurs une des seules choses utiles que lui avait appris son enfance difficile. Il n'emporta pas d'armes ; il trouvait toujours de quoi faire chez les victimes. Il jeta un dernier regard sur sa tenue, puis il sortit de chez lui ; direction le vingtième arrondissement.                         Il s'immobilisa devant l'immeuble insalubre avec un rictus, puis il y rentra en même temps qu'un groupe de jeunes qui avaient manifestement trop taquiné le goulot de leurs bouteilles de bières bon marché. Il grimpa avec tant d'aisance dans la cage d'escalier sombre et étroite qu'on eut crut qu'il y avait vécut toute sa vie.Il monta sans hésiter jusqu'au troisième étage ; il avait ses renseignements. Il tendit l'oreille, et se laissa guider jusqu'à la porte derrière laquelle vociférait un commentateur de football déchaîne, dont il força la serrure en quelques minutes. Il avait l'habitude, et une formation de serrurier. La voix du commentateur lui agressa les tympans dès qu'il fut rentré dans l'appartement sombre. Il y régnait une profonde impression de solitude, davantage accrue par l'odeur de ravioli en boîte qui régnait dans l'appartement. Maurice sourit ; on arrivait à sa partie préférée : cerner sa victime grâce à son appartement. Il jeta un rapide coup d'oeil dans la cuisine et dans la salle de bain, qui lui apprirent que l'homme n'était pas un maniaque de la propreté, et n'avait d'autres passions que le baseball, qu'il jouait d'ailleurs médiocrement, à en juger par l'état de sa batte, qui traînait dans sa cuisine. Il la prit dans sa main, et la fit sauter négligemment tout en réfléchissant, puis il prit la direction du salon, uniquement éclairé par la lumière bleue de la télévision.La bouche ouverte, le gros bonhomme ronflait bruyamment, un filet de bave coulant sur son menton, la main dans un sachet de chips à moitié vide. Il fit sauter avec un bruit sourd la batte dans sa main, et il s'approcha doucement de l'homme, la tête légèrement penchée sur le côté. Il souleva la batte au dessus de sa tête,qui atterrit avec un craquement sinistre sur le crâne de l'homme, qui mourut sous le coup, vu la précision du visé de son meurtrier. Maurice resta parfaitement calme, un sourire serein aux lèvres. Il devait lui être reconnaissant, de là où il était. Il l'avait libéréd'une vie de misère, dans un travail qu'il exécrait et avec le chagrin permanent de la perte de sa mère. Tout était fini. Tout en susurrant une berceuse, il enfila des gants en caoutchouc vierges de toute empreinte digitale, et il se mit à détruire, silencieusement et toujours aussi consciencieusement, le mobilier du salon. Comme si la victime s'était débattue. Avait voulu rester en vie. Il eut un sourire désabusé, puis il sortit d'un tiroir un beau papier à lettre, qu'il couvrit d'une écriture rendue tremblante, imitant parfaitement la nervosité d'un assassin, où il écrivit une fausse lettre de suicide, ostensiblement impossible à croire, où il livra assez de détails pour faire croire qu'il faisait partit de l'entourage proche de l'homme, puis il essuya l'arme du crime avec lebout de son tee-shirt, sans cesser de siffloter, puis il arracha unbouton de la chemise de l'homme, qu'il glissa dans sa poche avant de se glisser hors de l'immeuble, laissant la porte de l'appartement grande ouverte.                 Maurice rentra chez lui, et se prit une longue douche chaude, avant de laver ses vêtement couverts de sang, puis il écarta les lattes de son plancher, desquels il sortit une grande boite, de la taille d'une boîte à chaussure, qu'il ouvrit avec cérémonie. Il effleura son contenu avec une douceur maternelle, et il y ajoutale bouton de chemise de l'homme, avant de se reculer pour admirer lecontenu de sa boîte, comme un peintre admirant sa toile ;Un galet lisse trouvé sur le rivage, un bout de savon à l'arôme envoûtant, un bout de velours râpeux, une mèche rousse ou encore un bouton de chemise rassemblés dans une même boîte, formant un ensemble d'objets hétéroclites et pourtant indéfectibles les uns des autres, qui racontent tous leur histoire de façon muette, dans une cacophonie silencieuse des plus délectables.

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