Elle était bleue. La Lune, au-dessus du cimetière. Elle était bleue, cette fameuse nuit. Ce fut le seul témoin de ma transformation. La seule à avoir contemplé, de sa face inerte, ma douleur et mon errance. Comment me suis-je retrouvée ici ? Pourquoi ? Tout ce que je sais, c'est que je venais te pleurer, idiote que je suis. Je venais étaler ma peine aux regards du monde, les larmes coulant à torrent sur mes joues. Mais après tout, c'est le but de ce lieu, non ? Venir se recueillir, apaiser la culpabilité des vivants sous le regard bienveillant des morts...
Difficile d'imaginer le temps qui s'est écoulé depuis la dernière fois. Ni les changements qui m'ont bouleversée et fait de moi ce que je suis actuellement. Cruelle vérité, dont seule la Lune m'est témoin.
D'un geste doux, je caresse ta pierre tombale. Elle me semble moins froide qu'autrefois. Moins austère aussi, avec ses lettres gravées un peu plus profondément chaque jour. Dans la pierre et dans mon cœur... « Arthur Fleatwich - 1930-1997 - Puisse le monde t'appartenir enfin ». Drôle d'épitaphe, n'est-ce pas, mon amour ? Tu l'as choisi toi-même. Prophétie inachevée. Le monde, heureusement, n'est plus à toi depuis longtemps. Grâce à moi. La Gardienne des Morts.
Ma pensée s'envole vers toi à mesure que j'arpente les allées du cimetière. Dépourvues d'arbres ou de végétations plus hautes que quelques centimètres, seules les pierres tombales forment une forêt minérale. Mausolées et anges pleurants ponctuent, çà et là, le paysage. J'en connais les moindres recoins, les moindres cachettes. Tu le sais, n'est-ce pas, Arthur ? Tu m'as poursuivi, toi aussi. Tu étais rapide. Et tu me connaissais. Mais j'ai gagné quand même. Comme quoi...
Derrière moi, je perçois un mouvement. Furtif. Je résiste à la tentation de tourner la tête ou de montrer la tension qui se cristallise dans tout mon corps. Tendue comme un arc, je porte nonchalamment la main à ma joue, faisant mine d'enlever un cheveu gênant.
Tais-toi, Arthur ! Ils arrivent.
En quelques secondes à peine, je le sens qui est sur moi. Un courant d'air glacé me fait frissonner. J'attends encore une ultime seconde avant de m'élancer. La baguette qui retient mon chignon fuse dans la gorge de mon assaillant qui recule en titubant. Dans le même temps, mon autre main attrape le revolver coincé à ma ceinture. Je fais feu. Une balle entre les deux yeux, deux dans le cœur. Puis, grâce à un petit mécanisme caché, ma baguette se télescope en une fine et longue lame d'argent. Le métal accroche quelques rayons de Lune avant de se poisser du sang noir de ma victime. Mon geste est fluide, ma main assurée, mon visage ne reflète aucune émotion.
Je t'entends ricaner, Arthur. Comme tu le fais à chaque fois. J'ai beau être la seule à t'entendre, c'est dérangeant.
D'un coup de pied bien senti, la tête décapitée de mon ex-adversaire fuse vers une tombe ouverte. Elle rebondit trois fois, se plaint quatre fois, avant de finir dans un « ploch » mouillé avec les autres. De mon côté, j'enfile mes gants et traîne le reste du corps vers une autre fosse, à l'autre bout du cimetière, et l'y balance sans ménagement. Même bruit. Même sensation de picotement dans les membres. Décidément, plus ça va, plus je me demande si je suis vraiment faite pour ce job. Mais ce n'est pas comme si j'avais le choix.
Je sais, mon amour. Tout est de ma faute. Enfin, ça, c'est toi qui le dis...
***
Nous étions heureux, avant. Tu t'en souviens ? Tous les deux installés dans le parc, juste avant la fermeture, alors que le jour déclinait et allongeait les ombres. La douceur des températures annonçait le printemps, et les arbres se paraient de leurs manteaux verts. Les chants des oiseaux se faisaient plus discrets à mesure que l'heure avançait, remplacés petit à petit par les grillons. Tu avais choisi ce lieu pour la beauté de la végétation, la richesse de l'environnement. Un peu plus loin, un étang dans lequel une canne et ses petits s'ébattaient joyeusement. Si tu n'avais pas accaparé mon attention, j'aurai même pu voir un petit écureuil grimper autour d'un tronc d'arbre. Les jeux de couleurs, entre ombres et lumière douce de cette fin de journée, enchantaient le regard et le cœur.
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La Gardienne
VampireIl y a des rencontres qui se font par hasard et qui débouchent sur des histoires d'amour passionnée. Mais le sang ne peut s'empêcher de couler lorsque l'un des deux est une créatures de la nuit.