| Fatoumata Ak Idrissa |
Il n'avait qu'un seul amour. Elle portait le doux nom de Fatoumata.
Il l'avait aperçu en une belle journée ensoleillée d'Octobre. C'était la rentrée des classes, le cauchemar après les vacances d'été. Mère Sora le tenait par la main pour éviter qu'il ne s'égare. La foule était nombreuse et convergeait vers l'estrade au-devant de la cantine.
Mr Ambroise, le prof le plus craint du CI au CM2, était facilement discernable aux côtés de Mr Bassene et compagnie. Il avait un air froid qui lui octroyait un certain charisme. Quand il fallait chicoter, il le faisait et bien même.
L'ayant eu en CE2, Idrissa connaissait bien le personnage. Quoique, étant un élève plutôt sage et réservé, il n'avait rien eu à craindre.
La directrice entama le processus d'affectations des professeurs et des élèves à leurs classes respectives.
Le silence coupait court à certains retrouvailles de longue date, pour la plupart entre parents, entre anciens camarades, entre amis. Mais cela ne concernait pas lui le solitaire, lui le timide.
Il ne s'intéressait pas à cette routine. Les années passaient, se ressemblaient et l'ennuyaient. Mais alors qu'il cogitait sur cette triste monotomie, le gamin rêveur aperçut une chose scintillante qui se glissait dans la foule.
Taille fine, courtes cheveux tressés, tenue exemplaire qui témoignait d'une personnalité forte et mesurée, cette merveille à l'allure de fée n'était autre qu'une fille de son âge, mais une fille différente. Elle brillait à l'intérieur de cette masse populaire.
Pour la première fois de sa vie, il avait été séduit.
Il retira sa main de celle de sa mère et hatait le pas pour ne pas la perdre de vue. Mais l'on empêchait de rejoindre son idylle. Finalement, la fée devint hors de portée.
Toutefois, il ne déprima pas longtemps car en rejoignant la CM1 A, sa future classe pour l'année à venir et qui se trouvait au fond de l'école au dessus des classes de CE2 et à côté du bâtiment des CM2, il la revit.
En franchissant le seuil de la salle, il la vit de nouveau, cette fois de face. Fatoumata était plus belle que dans son imagination. Dans son cœur résonnait le bruit d'un tam-tam ardent, un Sabar* sans fin où les batteurs frénétiques s'étaient résignés à donner leur vie pour le spectacle, à faire danser les endormis, à réveiller les morts, et à chanter à l'unisson :
Bouger pour l'amour !
Sortez les calebasses, les cafetières, les seaux et les Thiaya* !
Battez, battez, battez !
Dansez, dansez, dansez !
Idrissa est amoureux !
Le fils du pays est amoureux !
Il se croyait important, persuadé que personne ne pourrait se vanter d'aimer comme lui il aimait à cet instant précis.
Assis au troisième rang, à trois tables de sa princesse, il la regardait à longueur de journée, lui suppliant indirectement de le regarder en retour mais Fatoumata prenait déjà ses marques. Elle se familiarisait avec tout le monde.
Elle saluait, rendait les salutations, taquinait, amusait, divertissait. On l'adorait déjà mais lui davantage. Les jours passèrent et il fut encore plus enthousiaste à l'idée d'aller à l'école.
Il prenait place sur le banc de pierre en bas de la classe d'où, comme à ses habitudes, il se plaisait à guetter la cour. Aboubacar, Thiombane, Fadel, Djiby, ils débordaient déjà d'énergie le matin et jouaient au football avec de la pierre plutôt ovale. On aimait courir à vingt derrière le ballon et tentait de le conserver le plus longtemps possible, faire leur Ronaldinho ou bien leur Messi.
Mais cela ne l'intéressait pas, du moins ne l'intéressait plus. Depuis qu'il l'avait rencontrée, il préférait la chercher de l'œil pour mieux entamer sa journée.
Et comme à chaque matinée, Fatoumata saluait, rendait des salutations, câlinait, taquinait, amusait. Elle n'oubliait personne. Même pas lui...
«— Bonjour Idrissa. Nakamou Nak? { Comment cava? }
Épris d'une soudaine timidité, le perturbé ne pût rétorquer.
Il souffrait péniblement, mais quelle étrange souffrance. Les mots qu'ils voulaient énoncer finissaient en rondelles dès qu'ils atteignaient sa gorge. Le mal qui lui rongeait la poitrine lui muselait la respiration.
«— M... Ma... Ma... Ma... Ngui... fi.... { Je vais bien}, lui répondit-il honteux.
Il avait loupé la tentative matinale, comme les autres d'ailleurs. Ce n'est pas de cette façon qu'elle s'intéressera à elle, pensait-il. Idrissa aurait voulu être aussi cool que Khadim, son meilleur ami. Mais Idrissa était Idrissa. Rien de plus. Rien de moins.
Il perdurait dans l'échec. Son amour propre en prenait un sacré coup mais il serrait les dents. Elle lui ôtait tout mot. Qu'aurait-il pu faire contre ça?
Peut-être dévier le regard...
En attendant que la merveille s'éloigne...
Pour finalement la regarder de dos, et se complaire dans les regrets et dans l'amertume.
«— Bon... Bah ci Kanam kone... Bye bye ! { À tout à l'heure... }
Il la regardait.
Elle ne regardait plus, préoccupée par l'envie de rejoindre ses amies.
Demain sera un autre jour...
Demain il fera un autre pas...
| Lexique |
Sabar : Petite soirée animée en pleine rue où les femmes sortent danser devant une importante assemblée de spectateurs pendant que les batteurs martèlent leurs instruments.
Thiaya : Vêtements de comiques très larges et qu'on aime porter pour les grandes occasions... En général...#Seuls les vrais savent