Trop beau

Autour c'est le chaos

...

« Bordel, ils recommencent. »

Ces quelques mots s'élevèrent dans l'atmosphère dorée de la fin d'après-midi et provenaient d'un homme entre deux âges affalé sur un canapé en cuir défoncé. Cadeau de mariage. Il avait parlé en direction de la télé qui crachait une rediffusion d'un match de rugby, mais il savait que sa femme l'entendait, et les entendaient.

« Je te le dis, ils vont finir par s'entre-tuer, lui répondit la femme d'un ton de prophétesse en tablier à fleurs.

- Comme ça on aurait enfin la paix, conclut l'homme en ponctuant ses paroles d'un rot gras avant de rediriger son attention vers son poste, tentant de faire abstraction des cris et des bruits de pas furieux qu'il entendait résonner.»

Si les résidents de l'appartement du dessus les entendaient, ils leurs diraient sûrement de concert qu'au moins ils n'étaient pas un vieux couple encroûté dans un quotidien aux valeurs fanées où le patriarcat intégré faisait figure de vieux bibelot pas franchement esthétique et vaguement écœurant. Et tout cela dans un langage bien plus fleuri comme ils savaient si bien le faire.

Mais ils étaient trop occupés à essayer de s'envoyer l'océan à la tête. Dans le salon au parquet recouvert d'immenses feuilles de papier deux jeunes hommes se faisaient face, une telle tension entre eux que l'air semblait se raréfier, l'oxygène lui-même préférant déguerpir qu'assister au massacre. Le plus grand était échevelé, ses longs doigts décoiffant nerveusement ses mèches trop longues tandis que de vilaines rougeurs décoraient les joues de son vis-à-vis et s'étendaient jusqu'à son cou, marque de sa fureur. Leur souffle était rapide mais parfaitement synchronisé. Cela énerva le brun qui fit exprès de retenir sa respiration quelques secondes pour se décaler mais rien à faire, au bout de trois respirations ils étaient à nouveau ensemble.

Comme d'habitude, tout était parti de quelque chose de stupide. C'était toujours le cas. Jungkook, le brun, aimait se mettre par terre pour dessiner. Il avait plus de place pour s'étaler. Taehyung était rentré et avait failli glisser sur l'une des ailes de papier, Jungkook n'avait pas manqué de laisser échapper un rire moqueur, et tout avait rapidement dégénéré. L'aîné avait voulu lui faire ravaler son sourire d'ange et avait avec délectation sorti son ton le plus acide pour critiquer les portraits que Jungkook avait esquissé sur la surface immaculée. Mais il n'avait pas assez réagi à son goût, habitué à ses remarques acerbes dont il ne pensait pas un mot. Alors il avait ramassé une des feuilles et l'avait transformé consciencieusement en dizaines et dizaines de confettis qui voletèrent doucement jusqu'au sol devant le regard médusé du plus jeune. Ce dernier s'était relevé doucement et avait demandé en détachant bien chaque mot ce qu'il croyait faire exactement. Et voilà comment ils en étaient là, face à face, aussi proches physiquement qu'ils étaient loin mentalement.

« Putain Taehyung c'est dingue tu ne sais pas faire autre chose que détruire tout ce que je fais ? Murmura Jungkook en serrant les poings si fort que ses jointures blanchissaient.

- Et toi tu ne sais que mettre ton bordel partout, j'ai passé le balai hier et j'ai fait l'effort de ranger pour qu'on ne vive pas dans une porcherie et toi tu fous tout en l'air dès que je suis parti, aboya l'aîné en réponse, faisant un pas bravache en avant, très vite imité par son vis-à-vis. »

Ils se retrouvèrent ainsi presque front contre front, leur souffle sur leurs lèvres respectives. Dans leurs yeux le véritable combat avait déjà commencé tandis que leur corps tendu ne bougeait pas d'un millimètre. Puis soudain ils s'élancèrent au même moment l'un contre l'autre et leurs lèvres et leurs dents s'entrechoquèrent tandis que les mains partaient à l'assaut de chaque morceau de tissu qui empêchait l'accès à la peau brûlante. Ils se déshabillèrent avec violence, les caresses ressemblant à des coups et les baisers à des morsures. Ils firent l'amour là, sur le parquet, entre les feuilles froissées qui séparaient à peine leurs corps en lutte. Ils gémissaient aussi forts qu'ils avaient hurlé, les coups de reins du plus jeune clouant le bassin de l'aîné au sol et faisant cogner les os de ses hanches sur la surface dure. Il allait y avoir des bleus, des griffures, mais ils ne savaient pas faire autrement. Des ébats sans marques n'en étaient pas vraiment. Jungkook finit avant Taehyung et ne l'attendit pas pour aller prendre une douche, laissant le jeune homme murmurer un « connard » entre ses lèvres et se finir seul au milieu du carnage des dessins déchiquetés.