Pour un train électrique

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Eren le regardait toujours.

Assis dans cette pièce remplie de boules de verre, il fixait comme presque chaque jour la petite sphère projetant Livai, le montrant comme il est vraiment. Les mains sous son menton pour maintenir sa tête admirative, jamais Eren ne pourrait s'en lasser.

Cette histoire avait débuté il y a de cela 24 ans exactement. L'elfe avait été chargé cette année-là d'aider à la distribution des cadeaux. C'était la première fois qu'Eren avait ce privilège. Monter à ce poste était le comble après avoir travaillé avec passion dans la fabrique, mais il était nerveux. Le brun avait peur de ne pas être assez rapide pour s'occuper de la ville qui lui était assignée, ne pas être assez discret ou encore se tromper de présent à offrir à un enfant. Si une erreur se produisait, jamais il ne se le pardonnerait malgré les mots rassurants d'Armin, son meilleur ami.

La maison de Livai était l'une des dernières sur sa liste. Minuscules et dans un état lamentable, la peinture dégarnie et les vitres brisées auraient pu laisser croire à n'importe qui que cette demeure était inhabitée. Pourtant, c'est là que le gamin de six ans habitait avec son oncle.

Livai n'avait que six ans à l'époque. Malgré leur manque d'argent, ils avaient réussi à trouver des petites lumières sur la galerie et s'étaient acheté un sapin à bas prix dont les épines tapissaient prématurément le plancher. La lettre que l'enfant avait adressée au Père Noël était profonde pour son âge. Bien que son plus grand souhait aurait été de revoir sa mère, il demandait cette année un train électrique. Son oncle n'ayant pas les moyens de lui payer le moindre jouet, il rêvait de pouvoir être comme les autres garçons de son école et leur montrer son petit train.

Ce Noël-là, Eren terminait donc par sa maison. L'elfe n'avait pas mis de difficulté à pénétrer la maison et il s'avançait vers le sapin pour y déposer le présent parfaitement emballé.

-Qui êtes-vous?

Eren avait sursauté en entendant la voix dans son dos. C'était un petit garçon aux cheveux d'ébène mal coupés et au visage creusé par la sous-alimentation. Il fixait le brun avec fascination et curiosité à la fois, ce qui ne manqua pas de faire paniquer l'elfe qui s'empressa de prendre la poudre d'escampette, sans prendre la peine de laisser le cadeau toujours dans ses mains. Il avait échoué et en avait honte... De peur de se faire punir, Eren préféra garder cette histoire pour lui et conserver précieusement le train électrique.

Depuis cette histoire, le grand brun n'avait pas passé un jour sans observer dans sa boule de verre le petit garçon. Il regarda Livai raconter son histoire à l'école, se faire rire de lui... il regarda des gamins plus costauds lui régler son compte dans la cour de récré... il vit son oncle lui apprendre que le père Noël n'était qu'une histoire, son visage déçu... il le regarda devenir taciturne, perdre la magie des fêtes avec les années, travailler dans un bureau terne et sans vie... il le regarda rester seul et s'en voulait terriblement.

Malgré la distance qui les séparait, Eren avait le sentiment de mieux connaitre Livai que lui-même se connaissait. Il avait vu ses vices cachés et son côté maniaque pour le ménage se développer. Plus il l'observait grandir et faire sa vie, plus il rêvait du jour où il pourrait lui parler. Cela faisait plusieurs années qu'il agrippait le train électrique toujours enveloppé et s'arrêtait de marcher devant la nouvelle maison du garçon aux cheveux corbeaux, mais n'avait jamais le courage de sonner.

Que pourrait-il lui dire de toute façon s'il se retrouvait face à son obsession? « Bonjour, je suis l'elfe qui a gâché ta jeunesse. Je t'espionne chaque jour et suis fou amoureux de toi. Voilà le train que tu attends depuis 24 ans ». Ridicule... Livai aurait peur et ce n'est pas ce qu'il veut.

-N'attend pas qu'il ait 60 ans, lui conseilla un jour Armin, les humains ont la malchance de vieillir. Un jour il ne sera plus là et tu regretteras de ne pas avoir foncé de son vivant.

Il avait raison, comme ce garçon à la coupe champignon l'avait toujours. C'était l'unique personne connaissant son histoire et il le comprenait parfaitement. Cette année, Eren devrait foncer. Livai commençait déjà à être vieux du haut de ses 30 ans. Avec le stresse de sa vie de bureau, des cernes marquaient le bas de ses yeux et son visage était pâle, ce qui n'enlevait rien à sa beauté.

Le 24 au soir, Eren se retrouva donc une nouvelle fois devant la petite maison moderne que possède Livai, le train électrique sous le bras. Pas très grande, elle convient parfaitement à la vie solitaire de l'homme qu'il est devenu. Cependant, il s'agit aussi de l'unique qui n'est éclairé pas aucune lumière, qui ne possède pas de décorations. Comme l'elfe a déjà terminé sa distribution assignée, il a tout le temps devant lui de se décider.

Après avoir pris une grande inspiration, Eren se décide cette fois à franchir le pas et entrer dans la demeure. Aucune décoration, aucun sapin. L'ambiance est triste et le décor est simple. Le brun ne peut pas laisser tant de tristesse sans rien faire.

Avec la magie que son titre lui permet, l'elfe érige un sapin entièrement éclairé, puis fait en sorte que le salon scintille de mille feux sous l'esprit des fêtes. Un sourire satisfait, il admire son œuvre quand des pas résonnent derrière lui avant de s'arrêter brusquement. Livai le regarde dans son pyjama, les sourcils légèrement remontés sous la surprise de voir sa demeure illuminée alors qu'il n'avait rien fait. Il ne comprend rien, doit rêver.

Eren se retourne vers lui, le train électrique toujours dans ses mains. En vrai, il est beaucoup plus petit que ce qu'il imaginait, mais aussi beau.

-Toi, souffle Livai.

-Joyeux Noël, Livai Ackerman.

L'elfe s'avance vers l'homme qui reste figé, puis lui tend le présent. Livai semble hésiter, mais retire le papier pour rester ébahi devant le train électrique dont il rêvait étant petit. Eren se penche à son oreille pour chuchoter :

-excuse-moi d'avoir un jour gâché ton Noël.

Livai n'arrive pas à parler tant il est sous le choc, tant il ne comprend rien. Eren se recule un peu pour mieux l'observer de près, puis dans un élan de courage il avance doucement son visage vers celui de l'homme pour déposer un doux baiser sur ses lèvres.

Quand Livai ouvre les yeux en sentant l'agréable pression disparaitre, l'elfe a disparu, laissant uniquement sur le sol une boule de verre.

Quand Livai ouvre les yeux en sentant l'agréable pression disparaitre, l'elfe a disparu, laissant uniquement sur le sol une boule de verre

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Pour un train électrique ~Ereri~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant