Nous étions enfant quand nous avons commencé à l'ébaucher à l'aide des crayons de nos rires et de nos gesticulations infantiles, et plus tard, avec les premiers feutres multicolores, les premiers mots, les premières photos des parents.
Elle allait être géniale, oui, elle allait être grandiose et occuper chaque parcelle de notre monde.
Puis nous avons grandi dans la crasse et les sourcils froncés, dans les larmes et les yeux baissés, mais nous avons grandi, et elle aussi. Comme nous, elle commençait à prendre forme, à s'esquisser dans les rues vides de notre ville froide et meurtrie qu'on tentait malgré nous d'agrémenter du fruit de nos esprits d'enfants.Nos corps se sont ensuite déformés, ma poitrine est devenue plus grande, ta voix plus grave, mais je ne sais pas si on a vraiment grandi. Quant à
elle, elle nos idées perdues et notre univers à moitié debout, elle s'est rangée seule dans un placard, laissant place aux premières soirées et aux premières vraies bagarres d'adultes, auxquelles tu participais beaucoup. Parfois je pensais à elle, je me disais que je voulais vivre dans son confort, son aisance enfantée par nos esprits innocents.Tu avais quatorze ans et demi quand tu es mort. On m'a raconté que tu t'étais fait battre et mordre et insulter et tapper et griffer et briser et tuer.
Parce que t'aimais les garçons mais pas en être un. Mais moi, et quand on était avec elle, ça ne posait jamais de problème. Alors je n'ai pas compris. Je n'avais ni elle ni toi et il me semble que je n'avais plus moi non plus.
Je suis retournée au fond du placard, loin d'elle, parce qu'à chaque fois que je la voyais je repensais au fait que tu n'allais jamais l'explorer avec moi.
Ça fait cinq ans. Hier, je l'ai ressortie du placard, étalée sur la table, et regardée en face. Des cartes, des crayons, des règles et des feutres. Des forêts, des bourgs, des montages et des océans. Des ruisseaux qui frétillent de vie et perlent goutte par goutte dans la magnificence de la roche et de la terre. Des animaux sauvages tout droit sortis d'histoires folles, surplombant ce bout de monde, volant, courant, nageant, vivant.
J'ai taillé mon premier crayon. Et, mon ami, en honneur à nos premieres parties de jeux, où tu étais la princesse et moi le prince, et où on écrasait le peu de méchants qu'il y avait, en honneur à toi surtout;
Je l'ai continuée.
Notre monde.Notre géographique imaginaire.
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Note de l'auteure : Je sais pas trop ce qui m'est passé par la tête...
Mais bon, cette idée m'inspirait.Ça vous a plu?
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Géographie imaginaire.
Short StoryNous échangions les rôles, tu étais la princesse et moi le prince, dans notre géographique imaginaire. PS : Tu me manques. [Nouvelle terminée]