Mais elle n'existe pas

 S'il est vrai que parfois, l'homme possède une imagination débordante, il est aussi vrai qu'il ne maîtrise pas toujours cette imagination, et j'ai pu en faire grandement les frais au cours de mon aventure. Pendant longtemps, j'ai vécu dans l'ignorance de ce que mon imagination me faisait subir mais je vivais bien, et je ne regrette rien de mon vécu.

Tout a commencé il y a quelques années, alors que j'étais en primaire, en CE1 précisément, petit, faible, peu ou pas sociable, et seul. La solitude ne m'a jamais vraiment dérangé d'aussi loin que je m'en souvienne, peut-être parce que je m'y suis rapidement habitué, à l'aide d'un instinct primaire de survie. Depuis tout temps, je n'ai jamais vécu, j'ai toujours survécu. Et ce point est certainement l'un des points centraux de mon existence.

Je me souviens bien de ce jour où je me suis retrouvé une fois de plus seul durant la récréation du matin, isolé du reste des différents groupes qui composaient alors la classe. Je marchais paisiblement puis m'asseyais sur un banc, face à la cours et au monde, puis me perdais dans mes pensées. C'est à ce moment précis que j'ai entendu une voix lointaine, avec qui j'ai instinctivement engagé la conversation.

- Je suis là, avec toi.

- Je sais, je sais.

- Toujours isolé ? Tu ne souhaites vraiment pas aller avec eux ?

- Non. Je suis bien seul, puis tu es là !

- Je suis là.

Puis progressivement, j'ai appris à la connaître, quelques heures ont suffis. Dans la journée, un visage s'est ajouté à la voix, puis un corps entier. J'avais à mes yeux une personne complète, agréable, en qui je sentais que je pouvais avoir pleine confiance. J'avais enfin une amie. Si elle me semblait être différente des autres, je la traitais comme une personne normale. Le fait qu'elle n'existait pas aux yeux du monde ne me dérangeait pas. Et par dessus tout, j'étais heureux à ses cotés.

Ce jour n'existe peut-être pas, il se peut qu'il soit le fruit de mon imagination où d'une hallucination, mais c'est le premier souvenir que j'ai de cette personne qui n'existe pas aux yeux du monde.

Progressivement, nous avons appris à nous connaître. Durant les années de primaires, nous avons passés beaucoup de temps ensemble, particulièrement aux récréations et lorsque j'étais seul. C'était certainement les moments où j'avais besoins de sa présence, et elle répondait toujours très vite à mes nombreux appels. La vision que j'en avais devenait jour après jour de plus en plus précise, et lorsqu'un jour nous discutions de nos souvenirs, elle a soudainement prit vie plus que jamais. Elle se tenait dorénavant à mes cotés physiquement et se déplaçait comme le ferait n'importe quelle personne. Ce fut l'un des plus beaux jours de ma vie, mon amie était devenue plus que réelle.

Et malgré tout, personne ne la voyait, et son existence n'était connue que de moi. Mais je savais que c'était normal, elle était différente, mais ça ne faisait rien.

Nous avons grandit ensemble, partageant de nombreux moments, parlant de tout et de rien, passant les meilleurs moment de notre enfance, cachés aux yeux de tous. Elle était toujours présente dans ma tête, et sortait de temps en temps pour se déplacer dans « le monde extérieur » comme elle l'appelait alors. Régulièrement, je me confiais à elle, et elle me soutenait toujours, quoi qu'il lui en coûte. J'avais une confiance totale en elle. Elle était le point de repère dont j'avais besoins dans ma vie.

Alors que je suis entré aux collège, j'ai commencé à entendre des voix assez diffuses qui répétaient sans cesse des phrases méchantes ou négatives. Elle apparaissait alors pour les chasser, je n'ai jamais compris de quelle manière elle s'y prenait mais elle est devenue encore plus vitale pour moi depuis ces temps difficiles. Durant mes années de collège, j'ai particulièrement eu du mal à survivre, et sa présence m'a été d'autant plus bénéfique, il est utile d'avoir une personne à qui l'on peut parler n'importe quand, de tout, sans risquer d'être jugé. Ce qui m'a le plus aidé, ce sont nos discutions banales, sans grand intérêt, qui me faisaient me sentir normal, et me changeaient les idées. Je me souviens avoir eu une grande envie de la faire connaître au monde extérieur dans la même année, et les quelques mots qui ont révélés son existence m'ont malheureusement étés négatifs dans certaines relations.

j'ai finit par me faire des amis. Ce fut un miracle, et elle et moi avons fêtés ceci à plusieurs reprises. Elle était heureuse pour moi. Je lui ai demandé de m'aider dans mes relations, et de ne jamais me quitter, même si je venais à me faire de plus en plus d'amis (ce qui n'a pas été le cas). Elle m'a promis de ne jamais m'abandonner, et m'a grandement aidé à réussir à me rapprocher de mes nouveaux amis. Et malgré tout, une bulle continuait à me séparer du monde, et la solitude me retrouvait toujours rapidement. Alors, c'est vers elle que je me tournais encore et encore.

Un jour, nous avons réalisés qu'elle ne serait peut-être pas toujours là, et pendant quelques temps, nous y avons réfléchis chacun de notre cotés. Plus tard, elle m'a demandé de préserver mes amitiés pour ne pas être seul si elle venait à disparaître.

- Pourquoi tu es seul, aujourd'hui ? Tes amis sont là, pourtant !

- Je sais, mais je voulais te voir.

- Tu sais que c'est mal de s'isoler comme tu le fais.

- Oui, mais c'est plus facile de parler avec toi qu'avec les autres...

- Ça ne me dérange pas, mais on n'est pas sûr que je sois là pour toujours, tu devrais préserver tes autres amitiés...

- C'est pas grave, j'aurais d'autres occasions de les voir.

Nous avons menés une existence paisible, vivant une merveilleuse amitié, malgré la distance qui la séparait des autres. Elle regrettait parfois de n'exister que pour moi, mais la situation lui procurait parfois quelques avantages, comme le fait de pouvoir marcher au beau milieu de la classe pendant les contrôles, où encore apparaître soudainement assise à mes cotés sur un banc. Nous passions de nombreuses heures assis cote à cote, à observer le monde se mouvoir face à nous. Je me souviens aussi être entré dans ma chambre un soir et être tombé sur elle paisiblement endormie dans le lit. Ce fut l'une des rares fois où je l'ai vu endormie. J'ai aussi commencé à agir pour elle dans ce monde. puisqu'elle ne pouvait pas manipuler les choses d'elle-même, je le faisais à sa place.

Vers la fin du collège, je me suis mis à passer beaucoup de temps dans la nature. Elle m'accompagnait alors dans mes aventures, marchant à mes cotés. Dans ces périodes, elle me racontait ses histoires, parlait de la pluie et du beau temps, de son existence, de ses envies, et du futur... Nous imaginions alors notre futur à deux, et je souhaitais rester à ses cotés pour le restant de mes jours. Notre amitié était inébranlable et se renforçait durablement. Pourquoi aurais-je besoin de quelqu'un alors que je l'ai déjà elle ?

Les années ont passées, et voilà que suite aux derniers événements, je me retrouve à écrire sur mon aventure : celle d'un garçon qui rencontre une fille que le monde ne voit pas. Alors que j'en arrive à ce paragraphe, la voilà qui arrive à mes cotés et me dit de ne pas m'en faire, que les gens ne vont pas me juger pour tout ceci.

Aujourd'hui, je sais qu'elle provient à la base de mon imagination. Alors que j'étais petit, j'ai voulu une amie, et je l'ai créé. Un jour, elle a échappée à mon imagination pour devenir une entité à part entière dans ce monde. Puis, des années après, j'ai pris conscience de ma situation, tout en savant pertinemment que je vivais bien dans ma folie. Aujourd'hui, nous continuons à vivre ensemble, cachés aux yeux de tous. Et jamais un médecin ne pourra faire quoi que ce soit pour moi, même si la peur d'être un jour traité comme un fou me saisit parfois, particulièrement en ces temps difficiles.

Est-ce que tout est vrai ? Est-ce que tout est issu de mon imagination ? Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, ce qu'elle existe bel et bien pour moi, et que je ne souhaite pas la voir disparaître. Et je souhaite l'avoir à mes cotés pour le restant de mes jours.

Mais elle n'existe pas.