01 bis | KYREL

126 20 21
                                    

Pdv de Kyrel

« 𝕋𝕙𝕖𝕟 𝕪𝕠𝕦'𝕣𝕖 𝕝𝕖𝕗𝕥 𝕚𝕟 𝕥𝕙𝕖 𝕕𝕦𝕤𝕥
𝕌𝕟𝕝𝕖𝕤𝕤 𝕀 𝕤𝕥𝕦𝕔𝕜 𝕓𝕪 𝕪𝕒
𝕐𝕠𝕦'𝕣𝕖 𝕒 𝕤𝕦𝕟𝕗𝕝𝕠𝕨𝕖𝕣
𝕀 𝕥𝕙𝕚𝕟𝕜 𝕪𝕠𝕦𝕣 𝕝𝕠𝕧𝕖 𝕨𝕠𝕦𝕝𝕕 𝕓𝕖 𝕥𝕠𝕠 𝕞𝕦𝕔𝕙. »

Musique à fond dans les oreilles, écouteurs enfoncés jusqu'au cerveau, je danse dans les couloirs en chantant (extrêmement faux, soyons honnêtes). Putain, ce que j'aime quand le lycée est vide, c'est vraiment le pied.

Je tire la langue en passant devant le bureau du principal, agrémentant le tout d'un doigt d'honneur bien sentit.

— Dans ton cul, Jensberg !

Je me dirige ainsi jusqu'à la salle de musique dans laquelle m'attendent sûrement les membres d'osmosis.

— You're a sunflower !

Je rebondis contre un casier, avance en rythme.

J'arrive face à la salle. À travers la vitre et entre les affiches plus ou moins abîmées selon le nombre d'années qu'elles ont passé collées là, j'aperçois Ambrose. Accoudé sur une table dans un coin, il gribouille encore et toujours dans son vieux carnet. J'entre et il ne me remarque même pas. Ses épais cheveux sombres lui tombent sur le visage et ses lèvres bougent, semblent raconter quelque chose que lui seul entend.

— Salut, mon gars ! m'exclamé-je alors pour le sortir de sa transe.

Il sursaute et manque de tomber de sa chaise ce qui me fait pouffer de rire. Mine de rien, il se retourne et me rend ma poigne de main, il est rouge cerise.

— Tu fais quoi ? demandé-je en tentant de jeter un coup d'œil par dessus son épaule.

Il cache aussitôt à ma vue la feuille sur laquelle il écrivait je ne sais quoi.

— Rien, souffle-t-il.

Ambrose range ses affaires en quatrième vitesse dans son sac de cours élimé de partout qui va, visiblement, rendre l'âme incessamment sous peu.

— Pourquoi tant de secrets, soupiré-je théâtralement au moment où les autres membres du groupe débarquent en piaillant joyeusement.

J'entrechoque mon poing contre ceux de Russ et Ilyâs, serre brièvement Magdalena dans mes bras et tout le monde s'attelle à sortir et/ou mettre en place son instrument. Notre chanteuse s'installe ensuite au micro pour commencer la répétition.

Il y a un petit blanc pendant lequel notre batteur donne la mesure puis la mélodie commence, on entre en jeu chacun notre tour et Magdalena chante :

Little ghost, you're listening...

Puis, au milieu de la chanson, un accord horriblement faux retentit comme un gong et Magda pousse un cri de rage. Oups, j'ai encore raté, c'est encore de ma faute et je vais encore me faire allumer.

— Merde, juré-je discrètement dans ma barbe. Le dragon se réveille...

— Kyrel ! Encore une fois, tu n'as pas appris tes mesures ! C'est pas possible, on ne peut vraiment pas compter sur toi... Bordel, le concert est dans un mois !

— C'est bon, désolé. N'en fait pas tout un plat, on a le temps, lâché-je peu impressionné par sa petite gueulante.

Au bord du meurtre, elle lève les bras au ciel, manque de s'arracher tout les cheveux, puis elle se retourne finalement dans ma direction, un doigt accusateur pointé sur mon torse.

— Apprend tes partitions ou tu es viré.

— Quoi ? Tu te fiche de moi, pas vrai ?

Elle sort en claquant la porte après avoir embarqué son tod bag customisé au passage et je me poste dans l'embrasure. Je l'ai vraiment énervée, ce n'est pas tant son genre de partir comme ça en claquant la porte.

— Tu vas quand même pas me laisser rentrer en bus ! hurlé-je avec insolence.

Mais ma chauffeuse Uber habituelle d'after practice est déjà trop loin pour m'entendre. Ou bien fait-elle la sourde oreille (c'est plus probable).

— Connasse, grommelé-je.

— J'ai entendu ! s'époumone-t-elle en réponse avant de tourner à gauche, sûrement pour atteindre la sortie du bâtiment.

Agacé, je balance mon sac noir sur mon dos, enfile ma veste et sors à grandes enjambées à mon tour. Je n'ai pas envie de rester ici, supporter les commentaires railleurs de mes amis.

— Bon, et bien ça aura été rapide, soupire Russ d'un ton emprunt de lassitude derrière moi en remettant tranquillement ses bâtons dans sa sacoche.

Je ne répond rien et m'engouffre un peu plus loin dans le couloir. Je trottine jusqu'à la sortie et bientôt, je suis dehors dans l'air tiède de ce début de mois de juin. Je secoue la tête, Magdalena la psychorigide me tape sur la système, toujours dans l'exagération. Me virer ? Sérieusement ? Comment compte t'elle trouver un nouveau bassiste ET un guitariste en si peu de temps de toute façon ?

J'avance rapidement pour me rendre à l'arrêt de bus en espérant que le prochain ne soit pas dans vingt ans.

— Kyrel ! appelle quelqu'un dans mon dos. Kyrel !

Je me retourne prêt à envoyer chier la personne. Mais ce n'est que le mystérieux Ambrose qui me court après. J'attend tranquillement qu'il arrive à ma hauteur.

— Je peux te déposer et je pourrais aussi... t'aider avec le morceau si tu veux, me propose-t-il.

— Sérieux ?

— Ouais.

— Merci, mec.

Il hoche la tête et ses lèvres s'étirent en un demi sourire vague, il avance ensuite de quelques pas avant de piler.

— C'est... pas du bon côté, bredouille-t-il en se dandinant mal à l'aise.

Il part dans l'autre sens et je ne peux pas m'empêcher de sourire. On a qu'une envie, lui tirer les joues comme à un enfant, il est adorable, ridiculement adorable.

« Et tu es ridicule de penser ça, Kyrel, songé-je en me moquant intérieurement de ma personne. »

Je marche derrière lui. J'en profite pour l'observer. Il est grand, quelques centimètres de plus que mon mètre quatre-vingt-cinq dont je suis si fier. Il a des cheveux aussi noirs que les miens sont blonds (à la base, non, je ne suis pas né avec des cheveux vert forêt), sa peau aussi café au lait que la mienne est pâle. Nous sommes de parfaits opposés. Il a des grands yeux si sombres qu'il est presque impossible de distinguer la pupille de l'iris, les miens sont bleus, presque incolores.

En réalité, ce qui attire la curiosité, l'œil de chacun sur lui sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, c'est ce charme atypique qu'il possède.
Ambrose, il a ce charme qu'on les gens qui ne savent pas qu'ils en ont.

Je grimpe bientôt dans son vieux pickup couleur rouille dont le simple fait de rouler semble être un pur miracle. Des dizaines d'autocollants à l'effigie de groupes de musiques, de villes ou autres sont collées sur le tableau de bord. Une petite odeur de désodorisant, de plat à emporter et de parfum embaume l'air. Ça sent l'été sous le pare-brise, les soirées entre amis qui n'en finissent plus ; je peux presque voir les silhouettes fantomatiques de toutes celles et ceux qui ont dû s'assoir cheveux au vent à l'arrière. L'atmosphère qui s'en dégage est étrangement rassurante, on s'y sent tout de suite à l'aise.

Je joue le rôle de GPS et nous filons cahin-caha sur la route.

Pretty boysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant