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"Je suis clean.
Je suis clean."
Le regard fixé sur le miroir, je me répète ces mots en boucle. Mes cheveux sont sales et emmêlés, le blanc de mes yeux est invisible sous les veines éclatées. Ma main tremble sur le bord du lavabo.
Je ferme les yeux et inspire un bon coup.
Ce putain de bruit strident dans mes oreilles qui ne s'arrête plus. Ce goût de vomi dans ma gorge. L'impression d'être dans une spirale lorsque je fais un pas.
Je déteste tout ça.
Je déteste la personne que je suis en ce moment-même.
Je me laisse glisser sur le carrelage et pose ma tête contre la porte. Il n'y a plus qu'à attendre que ça passe.

"Eh, c'était cool hier ! Il faut qu'on se refasse ça bientôt !"
Je souris. Bien sûr qu'on se refait ça bientôt. Finir dans cet état est presque une obligation, avec eux.
Lizzie rajuste sa veste et m'embrasse rapidement sur la joue. Dan, les clés à la main me lance un rapide clin d'oeil avant de refermer la porte derrière eux. Je lance un regard à ma montre.
Dimanche.
Un autre dimanche seule.
Le truc avec les soirées, c'est que même quand ça finit mal, ça passe vite.
J'ai l'air dépressive, non ? Peut-être que je le suis.
À vrai dire, je suis un peu paumée dans ma vie en ce moment. La fin des études. Pas de boulot. La réticence à entrer dans la boucle de la vie active, de commencer une routine, d'avoir le schéma habituel d'une vie commune, avec la famille, les enfants, la vieillesse et la mort.
Alléchant, pas vrai ?
Il n'y a peut-être rien de mal à suivre ce chemin. Mais j'aime penser que je suis spéciale. Que je peux découvrir un autre chemin : le mien.

Je me promène dans les ruelles sinueuses de St-Clarence, au grès des pentes caillouteuses et des côtes terriblement verticales. Marcher est sensé me vider l'esprit, aujourd'hui mes pensées se heurtent dans un bordel sans nom.
L'été chauffe les pavés, brûle mes bras et visage exposés.

St Clarence est plus un village qu'une ville, autonome et oublié dans le sud de la France.
Toutes les personnes ici sont des amis, parents ou connaissances. Personne ne vient, personne ne part.
L'aventure est un mot tabou ici, et toutes les familles font bien comprendre à leur progénitures que leur place est là où leurs ancêtres ont été, et où leurs enfants seront.
Cette idée me déprime.
Mes parents sont morts avant mes 10ans. J'ai été élevée par mes grands-parents jusque je sois en âge de vivre seule.

Je frôle du bout des doigts les briques en pierre parsemées de mousse. La ruelle devient un chemin, puis un sentier, et bientôt je ne retrouve au milieu de nulle part, loin du village et de ses habitants.
Des collines et rochers s'élèvent aléatoirement au milieu des herbes sauvage. Une colline plus spéciale que les autres m'attend, camouflée par un gros rocher et éloignée des sentiers battus.
C'est ma colline.
C'est l'endroit où je me cache quand j'en ai besoin.
Un endroit qui semble isolé du temps et de l'espace, comme une île déserte perdue au milieu de l'océan, ne figurant sur aucune carte maritime ou terrestre.

Au regard extérieur, cette colline n'est pas plus spéciale qu'une autre. Comme d'autres, elle surplombe le paysage environnant: une grande étendue verdoyante, jaunissant sous la brûlure du soleil. À gauche la bordure sombre de la forêt Vide empiète une large colline, et s'étend au-delà de l'horizon.
À droite, une haute falaise coupe le la ligne d'horizon pour rejoindre la forêt, laissant quelques arbres à demis suspendus au-dessus du précipice.

Et au-dessus de ma tête, le ciel bleu, le soleil bas, et la petite Eden.
Je fixe la petite planète, qui semble bleue avec la distance.
J'ai toujours rêvé d'y aller. C'est l'endroit le plus magnifique qu'il soit.
Mais c'est également l'endroit le plus interdit qu'il soit.

Je me surprend à contempler l'astre bleu plus longtemps qur d'habitude. Quand je regarde à nouveau autour de moi, le soleil avait décliné et l'air s'était rafraîchi.
Je prend doucement le chemin du retour, plus calme.
Lorsque je rentre dans mon appartement, le soleil avait atteint le bout de son périple.
Je grimpe les escaliers menant à mon appartement, ferme à clé derrière moi, avant de faire chauffer de l'eau pour cuire des pâtes- le repas étudiant par excellence !
Un film me permet de m'évader vaguement avant de dormir.

Au final, je suis déjà dans la boucle que je souhaitais éviter, avec le boulot en moins. C'est sur ces pensées que je sombre dans le sommeil.

La Lune BleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant