Chapitre 2

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                     1. la veille

—C’est ma dernière, promis juré. Chuchota Allick Pipen, assis dans la pénombre au bord de la chaussée de King street.

Le vieil homme frissonnait sous un ciel bleu scintillant d’étoiles. Le vent glacial de minuit balaya, emportant spontanément la lueur des lampadaires. Une panne, rien à foutre. C’était habituel dans ce coin.
Pipen leva son coude et porta à sa bouche la bouteille de whisky qu’il venait d’ouvrir. Il allait la vider bien vite. Dans cette bouteille, autour de lui, dans sa vie. Il ne devrait plus rien y avoir d’autre qu’un vide intense.
À la place, intensément c’était le ciel qui brillait. Pipen n’était pas du genre à observer la lune et les étoiles. Ce n’était pas dans sa nature. Ce qui lui ressemblait mieux c’était deux choses. L’alcool. Beaucoup d’alcool. Et la violence. Enormément de violence. Une vie pleine de passion. Et pourtant, il en voulait encore. Le vieillard s’était sondé dans le train du retour de Kalashe. Et son envie de les revoir était forte. Bien plus forte qu’elle ne l’avait jamais été. La belle Lubove qu’il avait quittée pour aller élaborer les stratégies de guerre, dans sa dernière jeunesse. Quinze années avaient suffi à le vieillir. Et à les vieillir eux aussi. La plus jeune devrait avoir exactement quinze années. Il avait manqué ses premiers pas. On lui avait communiqué la bravoure de ce petit être féminin. Mais hélas, ça ne suffisait pas pour lui couper l’excitation de la revoir.
  Plus tôt dans la journée, le convoi s’était arrêté en gare de Lubove. Il se souvint d’avoir quelque peu sauté au dehors, embrassant l’air gracieux de sa ville. Toujours aussi délicieuse avait été le verdict peu généreux qu’il s’autorisa à donner à l’atmosphère tiède du midi de printemps. Puis il avait hélé un taxi aussitôt sur la chaussée. Et avait filé pour King street. À peine trente minutes de trajet. Et Pipen foulait le sol de son vieux quartier de banlieusards. Toujours aussi laid et peu soigné. Il sentit son cœur se nouer en apercevant au bout de la rue sa petite maisonnée faite de bois. Il s’approcha, hâtant inconsciemment le pas. Et avant d’avoir pu monter l’escale, il vit la porte s’ouvrir sur un agent de la police criminelle.
«Il portait des gants, et tenait deux couteaux couverts de sang empalés dans un sachet.» C’était tout ce qui lui reviendrait à l’esprit quand plus tard il exercerait son foie à grandes gorgées de Jack Daniel’s.

«—Que diable se passe-t-il !?» Fut la question avec laquelle il salua l’officier, et qui ne lui valut aucune réponse.

  Le vieillard ne s'était pas fait donner l'autorisation et fila droit dans sa propre maison. Il y’avait sur le sol du salon, trois draps blancs qui recouvraient trois formes humaines. Les trois personnes sous ces draps…
  Pipen ouvrit une autre bouteille.

—Je te le jure, Gaby, tu sais que je tiens mes promesses. Encore une, juste celle-ci et je m’arrête.

                    2.trajet

  Le major Lincoln et le vieux policier se trouvaient dans la station métro de Denfert. Mal entretenue, puant la pisse et de surcroit, habitée par des jeunes et vieux sans-domiciles et une poule égarée qui arrosait de temps à autre. Le major dévisageait et se couvrait le nez. Le vieux policier le regarda, amusé et dit :

—Mon petit Lincoln, leçon numéro un de l’art de l’ombre. Sentir ce que tout le monde sent. Allez presse-toi, le métro n’est pas un taxi.

—Bien, bien. Grogna le chef de la police. Pour qui, me prenez—vous, vieux Wilson ? Je n’ai pas le moindre complexe de supériorité. Et mon odorat fonctionne encore très bien.

—Tant mieux, répondit le vieux policier esquissant un sourire sournois.

  Le major leva les yeux, et aperçut une foule de gens tous en sueur pénétrer hâtivement l’espace étroit. Il s’abstint de jurer contre le vieux Wilson en comprenant le sens de son « tant mieux ».

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 01, 2019 ⏰

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