Te quiero.

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Je l'avais rencontré en Espagne, durant mon Erasmus. Il n'était pas dans la même fac que moi. Je ne savais plus exactement où on s'était vu pour la première fois, c'était une soirée. Il a attiré mon regard sans aucun mot. Sa grande taille, sa fine musculature qu'on devinait à travers son t-shirt, sa mâchoire légèrement carrée cachée par un début de barbe, ses cheveux bouclés, sa peau mate. Tout, absolument tout, m'attirait chez lui. Ironiquement, il ne semblait pas m'avoir remarqué, ce fait s'était confirmé lorsque j'ai vu une sorte d'amitié ambiguë naître entre lui et celle qui était mon pilier dans cette aventure loin de tous nos repères.

            Ils avaient parlé pendant des mois, une amitié était née entre eux. Ils se voyaient souvent. Mon amie, ma sœur, mon pilier espérait plus, beaucoup plus, se moquant totalement du fait qu'il me plaisait depuis que nos regards s'étaient croisés. Elle voulait que leur relation évolue, elle m'en parlait tout le temps, mais dans son regard à lui je ne voyais rien qui me laissait penser qu'il envisageait cette possibilité. Ses œillades étaient affectueuses, mais presque fraternelles.

Nos contacts devenant fréquents, nous avions échangé nos numéros de téléphone, ainsi que de nombreux messages. Celle qui se sentait abandonnée m'en avait voulu pendant un ou deux jours, avant de décréter que ce serait, pour elle, un avantage. Je jouerais l'espionne. Ce rôle était loin de me tenir à cœur et lorsqu'elle me posa la fatidique question à laquelle j'avais la réponse depuis bien longtemps, je lui répondis sans grand tact. Non, il ne voulait rien de plus avec elle. Je n'avais même pas eu à me creuser le cerveau pour trouver un moyen discret de lui demander. Ses amis l'avaient fait pour moi, me servant la réponse sur un plateau d'argent. Ces garçons, qui le temps les avaient fait devenir autant ses amis que les miens, n'avaient  cessé lors d'un repas en terrasse de taquiner le plus âgé au sujet de mon amie. Sa réponse était sans appel malgré une légère insistance de ma part. C'est ainsi que j'ai brisé le cœur et le couple de ma meilleure amie.

            Cette jeune femme était en couple, depuis presque un an, avec un de mes amis qui l'attendait à Bruxelles, notre ville d'origine. Ma légendaire maladresse avait frappé, je révélais sans vraiment le vouloir toute l'histoire à l'ignorant. De nombreuses disputes suivirent cet événement. Entre elle et moi ; entre lui et elle. Cette dispute,  plus sérieuse que la précédente, fit régner le silence dans notre appartement durant un long mois.

            Celui qui occupait maintenant mes pensées était de plus en plus présent dans ma vie. Je me réveillais le matin avec un message, et m'endormais le soir avec un autre. Plusieurs fois par semaine, il me rejoignait à la sortie des cours pour prendre un café, manger une glace, apprendre le skate-board ou tout simplement parler. Aussi ironique cela soit-il, il a fallu que nous nous séparions pour que j'apprenne à tenir debout sur cette planche.

            Plus le temps passait et plus mon attachement envers lui grandissait. Notre relation était amicale et, même si au fond de mon cœur ça ne me suffisait pas, je ne voulais pas recevoir la même réponse qu'il avait réservée à l'infidèle. J'analysais chaque petit geste ambigu pour me persuader qu'il ne se passait rien. Une de ses mains qui se glissait sur mes hanches ou dans mon dos, ses légers baisers sur le front ou dans le cou, quand il m'asseyait sur ses genoux. J'oubliais les nombreuses taquineries et sous-entendus dont nous étions le principal sujet. Je ne voulais pas souffrir et pour ça, je me persuadais qu'en oubliant tous les signes, ils disparaîtraient.

            Mais vint un soir, après un match de foot et un petit restaurant, le moment que j'attendais et redoutais le plus. Le moment était magique, simple à notre image. C'était fin avril. Il faisait encore jour, le soleil chauffait mes joues qui n'en avaient absolument pas besoin aux vues de leur couleur écarlate. Je me souviens encore de son sourire devant mon air gêné.

            De longs mois de relation presque parfaite avaient suivi. On passait notre temps ensemble, il avait presque déménagé à l'appartement au grand damne de ma colocataire qui après une petite dispute avait fini par avouer qu'elle nous trouvait beau ensemble. Ses amis, et maintenant autant les siens que les miens, s'amusaient à faire des remarques pour rendre mes joues rouges, lui me regardait droit dans les yeux et tout l'amour et la douceur qu'il transmettait me refaisait tomber amoureuse de lui. Encore et encore.

            Il était le premier, en tout. Il était mon premier copain, mon premier baiser, ma première fois. Je ne le regrette pas malgré la fin de notre histoire. Elle était magique, douce, simple sans préparation et arrangement. C'était naturel, et sûrement jusqu'à aujourd'hui, la plus belle nuit de ma vie. Je me souviens de sa chambre, très mal rangée comme à son habitude, du plateau de paëlla qui nous attendait sur la table du salon comme tous les vendredis soirs. Nous regardions un dessin animé assez peu mature, ou peut-être que si aux vues des vulgarités évoquées. Je me suis glissée dans ses bras, ce soir-là, j'ai vraiment compris le sens de « envolver en amor »*.  Une fois dans ses bras, il m'a embrassée, je lui ai répondu, nos baisers devenaient plus pressants mais si doux et amoureux. Une chose entraînant une autre, nous avons fini dans son lit, des dizaines de « te quiero » murmurés à nos oreilles, consommant notre amour encore et encore.

            Cette magnifique relation a duré 10 mois. La date de mon retour dans mon pays natal approchant de plus en plus, certaines disputes éclataient. Si de mon côté, je faisais des efforts, lui avait trop de choses en tête dont il refusait de parler. J'ai appris plus tard qu'il avait des problèmes de famille qui l'avait empêché de se projeter et de s'investir autant qu'au début dans notre histoire. Je ne lui en ai jamais voulu, je l'ai détesté parce que je souffrais et que c'était pour moi le seul moyen de laisser échapper le trop plein d'amour. Notre fin était un peu brouillonne, ça s'est fini sur un banc, celui où on se retrouvait si souvent. Si j'ai beaucoup de mal à me souvenir des détails de quand je l'ai rencontré, je me souviens d'absolument tous ceux de notre rupture de notre rupture.

            On était sur le banc, le paysage était brouillé par mes larmes, j'en voyais couler sur ses joues aussi. Un bus passa. Deux passants s'arrêtèrent en nous voyant pleurer mais ils ne s'attardèrent pas. Je me souviens de l'avoir embrassé. « Un dernier baiser » ai-je réclamé. Il me l'a accordé sans même réfléchir. Il m'a proposé de garder une amitié qui m'a fait rire. Je ne pensais pas que cela m'aurait été possible. Et je le pense toujours, je l'aimais, je l'aime trop pour n'être que son amie.

            En français, tomber amoureux se dit comme cela. En anglais, on le dit « fall in love ». En québécois ; « tomber en amour ». Dans toutes ces langues, on retrouve la notion de douleur. Quand on tombe, la plupart du temps, on se fait mal. Peut-être pas sur le moment même, l'hématome peut arriver plus tard, bien plus tard. En espagnol pas. « Tomber amoureux » se dit « enamorar ». En italien, on le dit « innamorare ». Littéralement « dans l'amour ». Quand on dit que ce sont les langues de l'amour, je comprends maintenant ; elles ne montrent pas directement la chose telle qu'elle est réellement. Elles l'enjolivent, la rendent plus rose, plus angélique qu'elle ne l'est.


*«envolveren amor »  veut dire « envelopper d'amour » en espagnol, dans certains pays hispaniques on utilise cette expression pour dire « tomber amoureux »

Te quiero.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant