Rose-Marie

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Comme c'était paisible ! Emménager lors d'une belle journée d'août comme celle-ci était sûrement le meilleur moyen de me convaincre, une bonne fois pour toute, que je n'avais pas fait erreur en choisissant une maison plantée au beau milieu d'un ancien cimetière. Certes, il allait y avoir du boulot. Bien que mon nouveau chez moi soit flambant neuf, construit dans un mélange harmonieux de bois et de métal, assortit d'immenses baies vitrées, l'environnement immédiat était encore bien trop sauvage. D'immenses conifères projetaient leur ombre sur les alentours. Des fougères et des ronces encerclaient mes jambes, bien que je me tins à quelques mètres seulement de la porte d'entrée.

La façon dont les ouvriers du bâtiment avaient transporté et déposé cette maison en kit était un véritable mystère. J'avais dû laisser mon véhicule hybride à une dizaine de minutes de là, tant la route était encombrée. « Tu vis dans une forêt, à quoi t'attendais-tu ? » me susurrait ma conscience. C'était elle, cette satanée « petite voix » émergeant toujours au moment critique, qui m'avait poussé à prendre une décision aussi radicale. Vivre perdue dans les bois. Sans électricité, sans eau courante. Avec une voiture que je ne comptais plus utiliser.

J'avais toujours été sensible à la douleur des autres. Ça avait commencé avec les animaux. Gamine déjà, la viande me dégoûtait. J'étais devenue végétarienne, puis végétalienne, puis végan. Ensuite, j'avais vu les effets néfastes de notre mode de vie. Les ours polaires squelettiques qui erraient sur la banquise. Les baleines à l'estomac rempli de plastique. Il n'était pas question que je reste sans rien faire. Me voilà donc, prenant enfin une décision sensée. Montrant la voie aux générations futures. Piétinant ces ancêtres responsables de notre perte.

Dans la terre, on distinguait encore la forme d'une tombe. Je crachais dessus. Peu importe qui avait été enterré là, il ne méritait que mon mépris le plus profond. « Concentre-toi. » Je n'étais pas venu pour ça. Ma première mission serait de désherber ce qui me servirait de potager. Pour être auto-suffisant, il faut un minimum de ressources à portée de main. A l'ombre d'un soleil radieux, je me mis donc à arracher les herbes folles.

Un frisson naquit au niveau de mes épaules et se faufila sous ma peau jusqu'à ma poitrine. Depuis quand faisait-il si froid ? En quelques minutes, le ciel s'était assombri et le brouillard était apparu. Il s'épaississait de secondes en secondes. J'avais presque fini de découvrir le sol. « Tu y es presque, n'abandonnes pas maintenant ! » m'encourageait ma conscience. Je me sentirai bientôt tellement fière d'avoir achevé ma besogne en une seule après-midi, grisée par la satisfaction du travail accompli, que je ne pouvais me laisser aller maintenant. J'abandonnai mes gants et commençai à débarrasser la terre de ces gangrènes vertes à renforts d'amples mouvements de bras. Il faisait presque noir et ma peau était recouvertes de ces petites bosses qu'on associe à la chair de poule. Pourtant, je n'y accordais pas d'importance : le sol était désormais à nu. Je remarquai un rectangle qui se dessinait devant moi. Encore une tombe... Sans savoir pourquoi, je ressentais moins d'animosité envers cette dernière. Je frottai légèrement la terre et découvris un prénom, à peine lisible.

-Rose-Marie, lus-je à haute voix.

Quel étrange hasard... C'était le nom que je me donnais petite ! C'est ainsi que je me présentais auprès de mes camarades et de mes professeurs. Je ne comptais plus le nombre de sermons qu'il m'avait fallu avant d'abandonner cette pratique.

Un puissant bruit de fracas me tira de ma contemplation. Je me levai à la hâte, un peu effrayée bien que consciente qu'il s'agissait simplement d'un arbre qui avait cédé aux bourrasques de vent. Je regardai autour de moi. Il faisait désormais nuit noire et le brouillard était si dense qu'on aurait pu le couper au couteau. Je rentrai dans ma nouvelle maison qui était presque aussi froide qu'au-dehors. Je n'y sentais pas de courant d'air mais le souffle du vent jouait en sourdine.

Rose-Marie / Concours SimetierreWhere stories live. Discover now