La Symphonie des Larmes

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Il avait froid, la lumière filtrée par la lucarne paraissait étrange, elle était faible et orangée, comme un soir d'été. Pourtant le Soleil se levait, et tout portait à croire que c'était un matin. Le garçon prit cette fois garde à écouter patiemment d'éventuels passages d'étrangers puis jeta un coup d'œil entre deux planches. Personne, à ce qu'il semblait.
Une fois s'être glissé à l'extérieur de la piécette, Michael se trouva confronté à une vision bien singulière. Il se trouvait au fond d'une église, haute, sombre et inquiétante. Ses colonnes élancées arboraient les statues de nombreux saints et saintes Les murs, les colonnes et même les bancs étaient recouverts de sculptures aux formes complexes. Sans le récent passage des deux compères, il aurait juré que l'endroit était abandonné.
Un chose l'avait frappé dès le premier regard : le désordre au sein du bâtiment était tel qu'on aurait dit qu'une bombe avait explosé en plein milieu de l'allée principale. La plupart de ces sculptures avaient été décapitées voire arrachées de leurs socles, ne demeurant là plus que les pieds. Les bancs étaient bien souvent couchés les uns sur les autres comme des dominos, il leur manquait parfois un pied ou bien pour certain la moitié de l'accoudoir. Leur bois noir était strié de blessures blanches comme si on les avait récemment fouettés. Des rangées de dalles entières avaient été retirées pour ne laisser à nu qu'un sol gris et irrégulier. Des planches étaient clouées pêle-mêle sur le moindre interstice au mur, l'édifice n'était éclairé que par les rayons kaléidoscopiques filtrés par le peu de vitraux encore intacts.
Malgré le chaos environnant, on apercevait de nombreuses traces de passages, comme si on avait commencé à nettoyer les pierres gisant sur le sol gris et à dépoussiérer les recoins sous les colonnes. D'ailleurs, il y avait tout près du garçon un vieux balai de paille quasiment enterré sous une montagne de débris de bois arraché et de pavés brisés.
Au centre de tout ça s'élevait un grand autel religieux sur lequel trônait la Croix d'or comme absorbant les ténèbres alentours. La gloire de ce symbole jurait absolument avec le caractère maussade des ruines de l'église.

[...]

Très tôt le lendemain, le toubib se présenta à nouveau à la chapelle. On le laissa entrer et, sans tergiverser, se mit à son travail. Michael remarqua tout de suite que quelque chose avait changé dans son attitude, il semblait vouloir dire quelque chose, tout en
craignant d'ouvrir la bouche. Malgré ses efforts, il ne parvint à lui soutirer quoi que ce soit d'autre que des paroles vagues et monotones. Michael s'irrita assez vite, il faut dire que demeurer enfermer toute la journée n'améliorait pas son humeur. Le toubib ne cessait de regarder sa montre. Il finit par balbutier quelques excuses maladroites et sortit aussi vite qu'il était venu. Aussitôt, un homme noir flanqué de deux gardes armés jusqu'aux dents pénétra dans la pièce.
-Monsieur Michael, veuillez me suivre je vous prie, dit l'homme d'un air impérieux.
Le garçon n'eut même pas le temps de se défendre, on l'attrapa sous chaque bras et le souleva jusqu'à l'extérieur de la chapelle. Là, une demi-douzaine de soldats, tous des Éclaireurs, formaient une haie sur la volée de marche qui conduisait au cimetière. Grenades explosives, fusils d'assauts, snipers, machettes, gilets pare-balle... On n'aurait jamais employé de telles armes s'il n'y avait pas urgence, Esteban n'avait visiblement pas lésiné sur la sécurité, que craignait-il ? On lui prit son bras valide que l'on attacha à l'aide de menottes au poignet de l'homme noir qui était muni d'un pistolet à barillet.
Le garçon avait bien compris que sa dernière heure était arrivée. A pas lourds, il descendit les marches une à une. Il n'avait pas peur. Non, il était terrifié. Les tombes offraient un chemin vers l'église qui désormais semblait plus menaçante que jamais, observant de toute sa grandeur la procession avancer en silence. On aurait dit un monstre endormi, dont le dos était fait de tuiles luisant comme des écailles et dont la gueule s'apprêtait à avaler Michael. Le crissement de la roche sous les bottes de cuir résonnait dans son esprit tourmenté de craintes. Bientôt ils eurent passé le portique métallique du cimetière et contournèrent l'église. Le monde paraissait désormais plus hideux que jamais, il semblait que ne pas avoir vu le ciel noir depuis deux jours l'avait rendu plus sensible à cette laideur. Il faisait plus sombre que d'habitude, les nuages se préparaient à faire se déferler la tempête sur la ville en cendre. Quelques gouttes effleurèrent la peau du condamné qui, en baissant les yeux, constata l'étrange couleur noire de l'eau qui coulait le long de son bras. Le rideau de pluie s'abattit sur l'horizon devenu gris. Michael se crut un instant dans un film en noir et blanc, car plus aucune couleur n'était visible désormais. Le garçon avait fini par se résigner à son sort lorsqu'il constata que quelque chose n'allait pas. A son insu, ils avaient dépassé de plusieurs dizaines de mètres déjà l'église et se dirigeaient droit vers la ligne sombre et irrégulière que formaient les habitations.
-Ou m'emmenez-vous ? Demanda-t-il.
-Loin des traitres, répondit celui auquel il était attaché.
-Lesquels ?
-Tous, cette église n'est plus sûre.
-Où allons-nous alors ?
-Pas loin d'ici. Je ne peux rien vous dire de plus, monsieur.
Leur marche continua ainsi longtemps. Ils traversèrent les tranchées vides des Haborymiens et s'engouffrèrent dans une avenue spacieuse. L'escorte avançait en
plein milieu de la route. Des épaves de voitures parsemaient la route trouée d'impacts de balles. Une unique espèce de plantes semblait pouvoir survivre à ce milieu hostile et morne ; un genre de ronce aux épines longues et fines dont la tige se terminait par une petite fleur aux pétales tantôt noires, tantôt pourpres, jurant avec son environnement. Michael s'étonnait de l'absence totale d'Haborymiens. A ce que l'on disait, rien ni personne ne peut survivre à l'extérieur, pourtant, nul danger ne semblait vouloir se présenter. Du moins c'est ce qu'il pensait.
Le groupe s'arrêta soudain sous le commandement silencieux du chef de file. Il fit signe à un soldat à sa droite d'avancer parmi les ruines. Le reste de l'escorte se mit en cercle autour du garçon qui fut contraint de se coucher. L'éclaireur eut à peine le temps de pénétrer dans la première maison qu'un homme surgit de terre et lui planta un poignard dans la gorge. Aussitôt, les soldats firent feu sur l'assaillant qui s'écroula contre le mur. La suite Michael ne la comprit pas très bien, peut-être parce qu'il avait fermé les yeux et s'efforçait de se morfondre dans la poussière. Les tirs fusaient de partout à la fois, Il attendit patiemment qu'une balle vienne se loger dans son corps alors que les impacts soulevaient de petits tas de terre et d'asphalte tout autour de lui. Un soldat s'écroula de tout son long juste sous ses yeux, une balle lui avait arraché la mâchoire jusqu'à son oreille. Mais il vivait encore, se débattant comme un beau diable et poussant des hurlements inarticulés avant de recevoir une seconde balle qui l'immobilisa. Horrifié, le garçon s'écarta du corps avec précipitation en se relevant.

[...]

L'homme tenait fermement le toubib par ses cheveux bruns et lui arracha son fusil des mains.
-C'est toi qui leur a dit où on allait, hein ? Mugit-il.
L'autre ne dit rien, fixant résolument le sol d'un air sombre. Ses mains tremblaient, celui qui le tenait à genoux le menaça de son arme. Il ne bougeait toujours pas.
-Qui es ton chef ? Tu as trois secondes pour me répondre.
-Non ! S'écria Michael avant d'être violemment bâillonné par l'homme à qui il était menotté.
-Un... Deux...
Et, à l'instant où il posait son doigt sur la gâchette, le toubib transperça Michael du regard. Soudain, le garçon remarqua les pains de plastiques dépasser de son manteau. Le détonateur était dans sa main à présent, mais il n'eut pas le temps de s'en servir, l'homme noir dégaina son pistolet à barillet et lui vida son chargeur dessus. Les autres s'y mirent aussi, mais ils ne furent pas aussi précis. L'explosion souffla tout sur son passage, les gerbes de flammes dévorèrent les plus proches et Michael fut soulevé de terre avec puissance sans précédent. Il sentit la peau de son visage brûler comme si on venait de poser sa tête sur un parterre de braises. Le garçon n'entendait pas les hurlements des autres, ni même les siens d'ailleurs, rien qu'un sifflement aigu en continu. L'ensemble de la scène de massacre n'était désormais plus qu'une bouillie difforme et floue de rouge et de gris.

Rêveries d'une nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant