Parc des Violettes - 16h37
Nosaka ne montra pas de signe de vie de la semaine. Si Naho fut d'abord surprise, quelque part, ça la rassurait. Elle n'en pouvait plus qu'il lui retourne le cerveau. Il avait un tel effet sur elle que ça lui embrumait les pensées de façon très problématique, et elle préférait ne pas penser à ce qui aurait pu se produire si le téléphone ne les avait pas interrompus. Béni soit celui qui l'avait appelé ! Elle frémit en y repensant – et ce que Rin lui avait dit le lundi midi n'arrangeait pas la chose.
Ce jeudi en fin d'après-midi, trop occupée à rêvasser et à répondre aux messages de Rin en attendant son frère qui jouait au football en contrebas, elle ne remarqua pas le garçon qui s'installait à côté d'elle sur le banc en fer forgé. C'est seulement lorsqu'il posa la main sur son bras qu'elle réagit, et elle sursauta avant de l'assassiner du regard en le reconnaissant.
— Bon sang, tu m'as fait peur ! s'exclama-t-elle et il lui fit un sourire éclatant.
— C'était le but, jubila Nosaka, avant de reprendre son air narquois habituel – dont ce maudit sourire. J'ai quelque chose à te demander.Il était assis en travers du banc, une jambe repliée sous l'autre, et était accoudé sur le dossier du siège. De cette manière, il était totalement tourné vers Naho, qui fronça les sourcils par réflexe, puis jeta un coup d'œil à son frère pour s'assurer qu'il ne les regardait pas – et qu'il ne se battait pas non plus avec ses copains.
— J'ai dit que je ne voulais pas jouer au foot avec toi, répondit la brune.
— Tu finiras par craquer, l'assura-t-il, mais ce n'est pas de ça que je veux te parler.
— Ça concerne le football ?
— Non. Enfin, si, mais pas directement.La brune haussa les sourcils, sceptique. Dans quel genre d'histoire comptait-il l'embarquer ? L'esprit farfelu de ce garçon finirait par la rendre dingue, sans compter que son poste dans l'équipe nationale lui garantissait une impunité presque totale, ce qui faisait enrager Naho.
— J'ai besoin de toi, continua-t-il en se penchant vers elle, pour espionner quelqu'un.
Son regard gris la scrutait avec une appréhension certaine, qui fit vaciller la force d'esprit de la jeune fille. Est-ce que par hasard, il craignait son refus ? D'un côté, elle exulta à cette idée, car elle avait là un moyen de faire pression sur lui et donc de se venger. De l'autre cependant, elle fut frappée de le voir comme ça, aussi... vulnérable ? S'il lui demandait ça, à elle, c'est sûrement qu'il ne pouvait le demander à personne d'autre. Aussi, même si elle finirait sûrement par le regretter, elle n'eut pas le cœur à l'envoyer promener.
— Espionner qui ? soupira-t-elle.
— Un gars de mon équipe.Sa bouche s'entrouvrit sous un hoquet de surprise et elle se tourna entièrement vers lui pour lui le considérer avec incrédulité. Il se payait sa tête, ça ne pouvait pas être autrement.
— T'es pas sérieux, j'espère ?
— On ne peut plus sérieux, répondit-il sans se départir de son sourire.
— Mais vous êtes pas censés être, je sais pas, une équipe unie et indissoluble, ce genre de niaiseries ?
— Si. Mais quand un membre menace l'équipe toute entière, il faut la protéger, tu ne crois pas ?Elle allait lui répondre, mais faute d'arguments devant cette vérité indéniable, elle referma la bouche. Il lui avait cloué le bec. Nosaka se pencha en avant, réduisant ainsi la distance entre elle et lui, pour la regarder droit dans les yeux. Elle eut un mouvement de recul, comme pour fuir la force de ses prunelles, en vain.
— Et c'est pour ça que j'ai besoin de toi, lâcha-t-il en captant son regard.
Éblouie une fois de plus, elle mit quelques longues secondes à réagir, les joues rosies par l'embarras. Par tous les dieux, ce qu'il était énervant quand il la piégeait comme ça ! Et beau, aussi. Ce gris d'orage était d'une beauté terrifiante, mais dont elle n'était pas sûre de pouvoir se lasser un jour d'admirer. Puisant dans ce qu'il lui restait d'idées claires dans son esprit – et de dignité, elle trouva la force de s'arracher à la contemplation de ses yeux pour se concentrer sur la discussion. Il t'embrouille l'esprit, Naho, ressaisis-toi !
— Pourquoi moi ? couina-t-elle et elle dut s'éclaircir la gorge.
— Parce que tu es discrète et il ne te connaît pas.
— Je ne suis pas une espionne professionnelle, tenta-t-elle de lui rappeler.
— Comme tu n'es pas une footballeuse professionnelle, répliqua-t-il en lui faisant une pichenette sur l'épaule qui la fit sursauter, et qui lui valut un regard noir de la jeune fille. Et pourtant, tu t'en sors bien.
— C'est n'importe quoi, je risque de tout faire foirer. Et puis pourquoi tu veux l'espionner, d'abord ?Car c'était vrai, elle avait beau faire plus ou moins confiance à Nosaka, il n'empêche que c'était un peu extrême d'espionner son propre coéquipier. Qu'avait-il fait pour menacer l'équipe dans son ensemble, et mériter un tel traitement ?
— Disons qu'il a porté atteinte à l'intégrité et la sécurité de l'équipe.
— I-il a mis des joueurs en danger ? déglutit Naho.Quand il hocha la tête, elle frissonna d'effroi et détourna le regard. Elle ne voulait tout de même pas se retrouver à suivre la piste d'un meurtrier, elle préférait encore stalker Nosaka. À la limite, il ne la tuerait pas, lui.
— Il ne te fera pas de mal, ne t'inquiète pas, ajouta-t-il en avisant son air troublé.
— Je suis pas inquiète, marmonna-t-elle en reculant et elle se rendit compte que ce n'était pas la première fois qu'elle lui disait ça.L'adolescent ne répondit pas, mais ses lèvres frémirent, signe d'un énième rire étouffé. Il la scrutait sans relâche, dans l'attente d'une réponse. Cette fois, il n'avait plus rien pour faire pression sur elle – et à cette idée, elle porta instinctivement la main à sa cravate pour vérifier qu'elle était toujours là. Si elle acceptait, c'était de son plein gré, pas sous le chantage. En soi, elle avait toutes les raisons de refuser, mais elle ne trouva pas le courage – l'envie ? – de le faire. Elle le regretterait à un moment ou un autre, mais elle se tourna vers lui en poussant un soupir à fendre l'âme.
— Il s'appelle comment le gars, que je dois espionner ?
Le visage de Nosaka se fendit d'un large sourire victorieux et se rapprocha de Naho. Elle sentit l'embarras lui chatouiller les joues, mais le regarda néanmoins droit dans les yeux. Enfin, elle s'y évertua, car d'aussi près, ses pupilles d'orage étaient encore plus électrisantes, de ce gris qui la troublait décidément beaucoup trop depuis quelque temps. Elle retint son souffle et son cœur s'emballa, tandis qu'elle tentait de se raccrocher à ses dernières pensées rationnelles qui s'écaillaient à mesure qu'il franchissait la distance entre eux deux.
— Ichihoshi Mitsuru, souffla-t-il à son oreille en sortant son téléphone. Je vais t'envoyer les détails dans la soirée. Check ton portable entre deux.
Hébétée, il lui fallut quelques instants pour assimiler les mots de Nosaka avant d'acquiescer. C'est seulement lorsqu'elle hocha la tête qu'il daigna reculer. Il adressa un dernier regard à Naho, regard dans lequel elle serait replongée de bonne grâce – et elle se surprit à le penser, avant que le footballeur ne quitte les lieux. Tout en soupirant – de soulagement ou de frustration, elle n'était pas trop sûre -, elle compta mentalement jusqu'à dix pour se donner le temps de reprendre ses esprits, avant de sauter sur ses pieds. Quelque part entre l'agacement et l'incompréhension que Nosaka éveillait en elle, une infime partie de son cœur se réjouissait d'avoir accepté.
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Sumire Koen ✧ au Parc des Violettes |IE|
Fanfic- Je veux que tu joues au foot avec moi. - Ha, rit-elle nerveusement avant de reprendre son sérieux. Hors de question. - Joue avec moi, et tu récupères ta cravate. - C'est du chantage ? Quand ce garçon est entré dans sa vie à cause de quelques malhe...